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Lalee

            Lalee sentit son réveil vibrer contre son front, sa tête enfouie sous l’oreiller. Elle ouvrit un Å“il, le refermant aussitôt. Elle mourrait d’envie de se rendormir. Elle ne pouvait malheureusement pas se le permettre. Elle se tourna sur le dos, sortant son visage de l’obscurité et frotta ses yeux pour s’éclaircir les idées. Le dos endoloris par le matelas dur et froid, la jeune fille descendit de son lit sans tomber, malgré la pénombre, et sans réveiller qui que ce soit. Elle enfila son uniforme en silence, guettant le lit de Britt. ‘Lee sortit du dortoir et prit l’ascenseur pour se rendre dans la Grande Salle. Trop vite à son goût. Alec devait toujours dormir ; elle aurait aimé lui rendre visite avant son départ. Seulement, les ordres de Cole furent catégoriques : aucun détour. Ils devaient partir tôt, sans s’éparpiller. Elle se frottait encore les yeux quand son Instructeur vint à son encontre.

                Pour la première fois, Lalee découvrit l’évident charisme du jeune homme et son influence au sein du QG. Sur son passage, les résistants le saluaient respectueusement. Il leur répondait d’un sourire aimable, retenu. Comme à chaque fois, la jeune fille arborait un air maussade dès qu’il entrait dans son champ de vision. Il dégageait une telle aura négative dès qu’elle était à coté de lui que ça en affectait son humeur. Cole la salua d’un bref mouvement de la tête avant de faire un rapide briefing sur la reconnaissance à faire. Pour une première mission, c’était simple : être discret, prendre des notes, ne pas se faire tuer. Encore dans les vapes, elle accepta le sac à dos qu’il lui tendit avant de le suivre jusqu’à la sortie.

 

                A l’extérieur, les rayons du soleil éblouirent la jeune fille qui dût fermer les yeux. Cela suffit à bien mieux la réveiller. Elle cilla, s’habituant à la luminosité. Elle tourna sur elle-même, toujours aussi curieuse de découvrir d’autres détails sur cet endroit. Comment avaient-ils pu construire un tel QG sous-terrain sans se faire repérer ? Lalee glissa les mains dans les poches, songeuse, avant d’entendre Cole l’appeler. Se tournant vers lui, elle s’aperçut qu’il avait une bonne vingtaine de mètres d’avance. Décidée à ne pas se faire réprimander de bon matin, ‘Lee sauta par-dessus un muret défraichis et le rejoignit au pas de course.

 

  • Ce n’est pas le moment de trainer., la gronda-t-il.

 

Finalement, elle aurait le droit aux remontrances. Lalee ne prit pas la peine de se défendre, se contentant de rehausser son sac à dos sur son épaule.

 

  • On se dirige vers un campement à l’ouest., l’informa Cole en reprenant la marche, Nos patrouilles l’ont découvert il y a quelques jours.

  • Pourquoi doit-on l’observer ? Pour l’attaquer ?, s’enquit ‘Lee en évitant une racine.

  • La République travaille une poudre qu’il transforme ensuite en une sorte d’énergie, de fuel pour leurs satanés Mécas., expliqua-t-il, Le campement en question extrait et travaille cette poudre avant de l’envoyer je ne sais où. Nous devons en apprendre plus à ce sujet. Nous apporterons nos observations au QG et le Comité avisera de son coté.

 

‘Lee hocha la tête. Des « Mécas Â»â€¦ Elle n’en avait jamais vu. Elle se demanda si la lumière bleue accompagnant les patrouilles républicaines était de leur fait. Dans le fond, ce ne serait en rien étonnant. Prise dans ses réflexions, elle manqua de se prendre une branche malencontreuse revenant droit sur elle dans un effroyable claquement. La jeune fille se baissa à temps, décochant un regard venimeux à Turner qui n’avait pas eu la décence de la prévenir. Au fur et à mesure de leur avancée, ‘Lee devait batailler pour suivre correctement Cole qui s’avançait avec aisance dans les feuillages. A maintes reprises, elle crut le perdre. Elle se démenait pour le rattraper sans émettre la moindre plainte. Il fallait qu’elle s’endurcisse. Si elle brisait le silence établit entre eux, une dispute ne tarderait pas ; elle n’en avait absolument pas envie. Lalee prit une profonde inspiration pour se motiver et reprit le rythme. Elle en était plutôt satisfaite durant l’heure qui suivit, régulant son souffle afin de préserver son endurance lorsque le bras de Cole lui coupa la route. Presque agacée, la jeune fille leva vers lui ses yeux ambrés pour l’interroger. Il lui répondit en posant un doigt sur ses lèvres en signe de silence. ‘Lee comprit ; elle frissonna d’appréhension. Ils n’étaient plus très loin. La jeune fille ne pouvait s’empêcher de songer qu’il y a quelques jours, elle était prête à tout pour éviter les soldats de la République. Aujourd’hui, c’était elle qui allait à leur encontre. Ses doigts se resserrèrent sur la sangle de son sac par nervosité. Cole savait ce qu’il faisait ; elle ne devait pas s’inquiéter. Ce dernier s’attela à être le plus discret possible. Ses pas, aussi légers que l’air, ne produisaient aucun son. Souple, il évita les obstacles avec une facilité déconcertante. En quête d’imiter son Instructeur, Lalee suivit le chemin tracé par celui-ci, prenant soin de marcher dans ses pas. Malgré sa concentration et sa bonne volonté, elle ne restait qu’une novice ne pouvant empêcher la pointe de son pied faire rouler une caillasse ou faire craquer les brindilles à son passage. A chacune de ses erreurs, Cole lui lançait un regard en coin, furieux. Ils se postèrent près d’une bute en terre. De concert, ils s’allongèrent et rampèrent vers le sommet. Les mains moites, ‘Lee put voir le campement : une véritable fourmilière. Des véhicules de chantier, chargés lourdement de poudre argentée allaient et venaient, sortant des mines, toujours soigneusement contrôlés par les sentinelles. Une odeur forte provenait des entrepôts, laissant un goût amer sur la langue de la jeune fille qui fut tentée de se boucher le nez. La poudre était répartie dans des sacs entassés près du dépôt des véhicules pour leurs prochaines cargaisons. Lalee se risqua à jeter un coup d’œil sur son Instructeur. Bien plus concentré qu’elle, il griffonnait des notes dans son calepin. Il la surprit et n’hésita pas à lui réserver un regard noir.

 

  • Concentre-toi un peu., chuchota-t-il, Dans « on est censé travailler Â», il y a « on Â».

 

Lalee aurait voulu alléger la tension avec une plaisanterie mais l’œil sévère de Cole l’en dissuada. Elle finit par obtempérer en sortant un appareil photo usé du sac après que le jeune homme le lui ait indiqué. Elle mit du temps à assimiler son fonctionnement avant de prendre quelques clichés du campement. Une chose était sûre, la jeune fille aurait aimé prendre de beaux paysages en photos plutôt que ces répugnants soldats. Il y eut quelques aboiements des chiens, pour la plupart des bergers-allemands, qu’aucun des deux ne perçut d’abord, pris dans leurs observations. Ce fut Cole qui réagit le premier lorsque des voix s’élevèrent en écho. Le vent avait tourné, plein Ouest. Les chiens de patrouille les avaient détectés. L’alarme était donnée. Turner glissa en bas de la bute après avoir tapoté l’épaule de Lalee. Le cliquetis des armes leur parvinrent, leur signifiant que les sentinelles les avaient repérés et se lançaient à leurs trousses. Cole et ‘Lee se savaient rapides et aptes à parcourir de longues distances sans ralentir. Ils réussiraient à les distancer en un rien de temps. Lalee ne connaissait que trop bien cette adrénaline, l’urgence de la fuite. Mécaniques, ses jambes agirent pour elle. Aux premiers coups de feu, ils s’arcboutèrent dans leur course, les évitant de justesse. Quel désastre… La jeune fille ruminait, espérant qu’ils avaient eu le temps de prendre assez de clichés et de notes pour ruiner le campement le plus tôt possible. Malgré cet espoir, elle ne put réguler cette envie d’apporter un sac de poudre au QG qui serait étudié et – qui sait ? – pourrait faire partis intégrante de leurs propres armements. La Résistance avait le droit à cette poudre ; elle devait l’avoir. Résolue, ‘Lee bifurqua sur sa gauche abandonnant le sillage de Cole. Elle avait repéré un camion à la lourde cargaison arrêtée à deux cents mètres du campement. Elle s’en souvenait ; elle avait prit un cliché pour garder une trace des routes empruntées lors des sorties. Alertés, les soldats avaient sûrement dû quadriller la zone autour, à une distance suffisante pour qu’elle ait le temps de chaparder un sac. Comme elle l’avait prévu, le véhicule trônait en plein milieu de la route terreuse.

 

Elle prit soin de s’accroupir, le conducteur fumant une cigarette roulée devant le capot. La jeune fille n’aurait que quelques secondes dès l’instant où elle toucherait un des sacs. Elle serra les poings, déterminée, le cÅ“ur battant et se précipita vers le chargement. Entendant les pas, le chauffeur dégaina un Sig Sauer et s’empressa de rejoindre l’arrière du camion. S’étant attendue à ce qu’il soit armé, ‘Lee avait redoublé de rapidité. Elle s’enfonçait déjà dans le bosquet, ralentie par sa lourde charge. Une balle vint se ficher dans le tronc qu’elle dépassa comme une flèche. Lalee entendit le conducteur hurler sa position. Des aboiements se rapprochèrent dangereusement jusqu’à ce que les chiens ne la rattrapent en formation de meute. La jeune fille déglutit, manquant une inspiration qui déclencha un poing de coté. Sa main tatonna sa ceinture, forçant la sécurité du fourreau de son Holster. Elle sortit son arme, trébuchant tandis qu’elle tentait de se rappeler le fonctionnement. Qu’est-ce que Cole n’avait cessé de lui répéter lors de son test ? Elle ne se souvenait que par bribes les mots jetés avec froideur. Les gestes s’étaient effacés dans son esprit comme en second plan. Lalee batailla avec son arme, désespérée, le lourd sac pesant tout son poids entre ses bras. Soudain, un poids se jeta sur elle et la fit rouler au sol. Elle crachota, une branche ayant appuyé sur ton thorax. Le grognement d’un berger-allemand à quelques centimètres de son visage la fit frémir de terreur. D’instinct, elle raffermit sa prise sur la crosse de son Holster et frappa le chien pour l’éloigner. Il se recula en proie à la douleur tandis que la jeune fille se redresser et reculer contre un tronc d’arbre. Tremblante comme une feuille, elle brandit le canon vers les chiens, aux crocs dégoulinant de bave. Elle appuya sur la gâchette mais le coup ne partit pas, bloqué. Alors, elle eut l’illumination.

 

                Le cran de sécurité !

 

Avec maladresse, elle débloqua l’arme et la chargea avant de tirer. Le recul lui vrilla l’épaule et le poignet mais son instinct de survie lui fit continuer à tirer malgré tout. Elle fermait les yeux, serrant les dents. Aucune balle n’atteignait les chiens qui aboyèrent et grognèrent de plus belle, prêts à fondre sur elle. L’un d’eux bondit, griffes sorties, dans l’intention de la déchiqueter. Lalee leva le bras, pointant le canon droit sur lui et tira en détournant le regard. Elle attendit le choc qui ne vint pas. Elle rouvrit les yeux, trouvant le corps du chien fumant à ses pieds. La meute grogna et suivit l’élan de son prédécesseur. Un autre coup de feu retentit mais ne provint pas du Holster de ‘Lee. Lorsque Cole présenta son bras en s’interposant entre une mâchoire canine et son élève, cette dernière comprit. Le premier coup de feu fatal venait de Turner. Elle l’avait manqué ; pas lui. Les crocs s’enfoncèrent dans la chaire de Turner qui grogna en l’envoyant valser plus loin avant de l’achever d’une balle. Perdant de leur ardeur, les chiens reculèrent jusqu’à l’arrivée des soldats. Cole rechargea son arme de poing dans un claquement sec. Lalee se mit à couvert, derrière l’arbre. Cole la suivit, se collant au tronc, la jeune fille soigneusement barricadée derrière ses jambes. Une salve de coups de feu vint érafler l’arbre. Lalee se recroquevilla, se protégeant la tête dans ses bras. Cole y répondit, tentant de détecter les mouvements des soldats dans l’épaisse verdure. Les sentinelles étaient bien trop nombreuses.

 

  • Il faut trouver une zone dégagée., lança-t-il à Lalee.

 

Son bras ensanglanté s’approcha de la jeune fille pour la tirer en avant. Celle-ci n’eut pas l’occasion de lui demander pourquoi. Elle avait beau être naïve, elle savait pertinemment qu’à découvert ils seraient encerclés et fusillés sans sommation.

 

Ils rejoignirent la route, les troupes sur leurs talons. Cole poussa violemment Lalee dans le bas-côté. Elle tomba tête la première, roulant sur elle-même jusqu’en contrebas. Turner la rejoignit moins d’une seconde après, sauf qu’à peine arrêté, il saisit une forme ronde et noire de sa ceinture. De ses dents, il dégoupilla la grenade qu’il jeta dès que les unités furent en plein milieu de la route. Au souffle de la déflagration, Lalee se roula en boule et sentit Cole la serrer dans un étau de protection. Malmenés par l’explosion, ils luttèrent pour y résister dans leur planque de fortune. Turner se remit debout en premier, chancelant, guettant un mouvement possible d’un survivant. ‘Lee, les tympans douloureux et bouchés, en fit de même, prête à décamper si besoin était. Elle voyait flou par intermittence. Les soldats n’étaient plus que des corps carbonisés, éparpillés autour de l’épicentre de l’explosion. Lalee sentit la nausée remonter jusqu’au bord de ses lèvres. Elle se fit violence pour ne pas dégobiller, l’odeur de cochon brûlé étant insoutenable. Ce fut le grognement de souffrance de Cole qui la fit se ressaisir. Il serrait la plaie sanglante de son bras. Il cillait, cherchant à recouvrir ses esprits. D’autres soldats ne sauraient tarder. Alors, n’hésitant pas une seule seconde, elle prit le bras valide de son Instructeur et l’entraîna avec elle. Il lui avait sauvé la vie ; elle sauverait la sienne. Elle décollait avec difficultés, les pieds lourds comme du plomb, mais elle se refusa à ralentir. Pris dans la folie de leur fuite, la peur enserrant l’estomac de Lalee et nouant sa gorge, leur vitesse n’en fut que plus accrue. Rapidement, ils distancèrent le reste des sentinelles. Ils finirent par rejoindre la trappe du QG sans être suivis. Ils avaient finis par ralentir le rythme de leurs foulées. Arrivés, ils prirent le temps de reprendre leur souffle, Cole essayant de juguler le flot sanglant de la morsure. En le voyant ainsi, Lalee culpabilisa. Tout était de sa faute.

              

       En rejoignant la chambre de Cole, celui-ci ayant refusé de se rendre à l’infirmerie, ‘Lee tenta plusieurs fois de l’aider à avancer ou lui proposa de faire appeler un médecin. Il ne lui avait pas répondu, se contentant de l’ignorer, le front moite de sueur. En entrant dans la chambre, Skill bondit de surprise avant de prendre une mine inquiète lorsqu’il vit le triste état de son frère. Alec dormait toujours à leur grand soulagement. Sans un mot, Cole investit la salle de bain, mettant sa plaie sous l’eau. Son cadet se tourna vers Lalee et l’interrogea du regard. Mais la jeune fille détourna la tête, lèvres pincées. Cole sortit des bandages et du désinfectant d’une trousse de secoure. Il repoussa son frère qui voulut l’aider à se soigner. Il était fou de rage. N’y tenant plus, ‘Lee s’approcha du pas de la porte.

 

  • Je suis… Je suis vraiment désolée., lâcha-t-elle piteusement, sa voix prenant une teinte rauque.

 

Sa bonne intention et sa sincérité furent une erreur. Cole, prit d’un accès de colère, jeta furieusement le flacon de désinfectant dans l’évier.

 

  • Désolée ? Tu es « désolée Â» ?, s’emporta-t-il, C’est tout ce que tu trouves à dire après avoir faillis nous faire tuer ?

  • Ce n’est pas ce que je voulais ! Pas du tout ! Je voulais juste que nous aussi…, commença-t-elle à plaider.

  • Que « nous aussi Â», quoi ? Pour un sac de poudre ? Est-ce que tu as une once, même une infime once, de bon sens dans ta tête qui sonne creux ? Ou es-tu définitivement stupide ?

  • Je… voulais juste… aider., balbutia Lalee.

 

Cole gronda tant à cause de la douleur lorsqu’il appliqua le désinfectant sur sa blessure que de rage contre la jeune fille. S’il ne se retenait pas, il aurait craché tout son venin. Seul le corps endormis d’Alec l’empêcher de laisser libre court à sa rancÅ“ur. Skill se tint en retrait, préférant ne pas se mêler de cette histoire. L’ainé Turner termina de bander sa blessure avant de s’approcher de ‘Lee pour lui saisir le bras avec force. Lalee ressentit la même douleur que lors de leur fâcheuse rencontre. En serait-ce toujours ainsi ? Ne comprenait-il pas qu’elle s’en voulait déjà bien assez comme ça ? Il forçait tellement qu’elle n’eut d’autres choix que de le suivre, la porte claquant dès leur sortie.

 

Cole la plaqua contre le mur et s’approcha d’elle pour éviter que leur altercation ne tombe dans des oreilles indiscrètes. Il avait des choses à dire et il était hors de question qu’il se retienne.

 

  • Tu veux progresser, hein ?, reprit-il sur un ton méprisant, Tu veux rester parmi nous ? Pour ça, il va falloir que tu fasses tes preuves et ce n’est pas en faisant tuer ton Instructeur à cause de ta connerie que tu y parviendras ! Pour l’heure, tu n’as que la capacité à réfléchir d’un gosse de dix ans ! Es-tu seulement capable de faire preuve de discernement et de responsabilités quand la vie d’un autre est en jeu ?

  • Je ne t’ai pas mentis !, se défendit Lalee, Je souhaitai aider ! Rapporter ce sac aurait une aubaine pour nous…

  • Tu n’en avais pas l’ordre !, trancha son Instructeur, Nous étions en reconnaissance ! Nous n’avions pas à donner l’assaut ou à rapporter quoique ce soit. C’était une mission des plus simples, rapides. Mais je n’aurai pas dû espérer des prouesses venant d’une débutante.

  • Je ne serai pas toujours une novice., rétorqua ‘Lee, blessée dans son orgueil.

  • C’est vrai., articula lentement Turner, Pourtant, même une novice n’aurait pas fait une telle erreur.

 

La jeune fille resta interdite, réprimant un sanglot en baissant la tête. Elle aurait aimé plaider sa cause mais à quoi bon ? Il n’avait pas tort. Elle n’avait pas agit avec courage et encore moins avec discernement. Elle avait juste été stupide, entrainée par ses émotions. Le ton de Cole sonnait comme une gifle magistrale. Le jeune homme l’abandonna dans le couloir, sans un regard. Lalee écrasa une larme sur sa joue. Il la détestait. Même si elle donnait le meilleur d’elle-même, elle gardait la certitude qu’elle le décevrait toujours. La mort dans l’âme, déprimée de se trouver encore dans ce maudit QG, elle rejoignit sa couchette sans prendre la peine de manger. Elle n’avalerait rien. Allongée, sans avoir prit la peine de se dévêtir, elle ferma ses yeux embués de larmes. Qu’aurait-elle donné pour sortir de tout cela, libre, et retrouver sa vie d’antan…

 

                Elle se réveilla très tôt, le lendemain matin, bien avant les autres femmes de son dortoir. Elle se faufila silencieusement à l’extérieur et, au pas de course, prit la direction du gymnase. Elle avait mal dormis, comme d’habitude ses rêves en proie aux cauchemars qui, cette fois-ci, impliquaient Cole dans une mare de sang et le regard vitreux. A cette heure-ci, elle se doutait que personne ne serait en train de s’entrainer. Elle avait vu juste lorsqu’elle poussa les battants et rencontra la pénombre. Silencieuse et vide, la salle lui offrait un large éventail d’exercices physiques. Au cÅ“ur de la nuit, après un troisième cauchemar qui l’avait réveillé en sursaut, Lalee s'était convaincue de redoubler d’efforts, de lutter contre ses faiblesses pour mieux ensevelir, repousser ses nuits atroces. Elle enroula ses mains dans des bandages de protection, se débrouillant comme elle put. Elle s’échauffa brièvement avant de se diriger vers un sac qui ne l’inspira pas. Elle n’avait pas de notions de combat. Il fallait qu’elle entraine l’un de ses points faibles : sa maladresse, son rythme, sa hargne. Se défouler, voilà ce dont elle avait besoin. La jeune fille s’approcha d’un petit sac suspendu. Elle donna un premier coup, curieuse de son rôle. Il rebondit d’avant en arrière, manquant de la frapper en plein visage. Elle recula d’un pas, redonnant un coup pour le repousser. Ca ne fit qu’empirer l’élan. Lorsqu’il se stabilisa, Lalee réfléchit une seconde avant de donner un coup puis un autre. Elle chercha à rythmer ses bras afin d’éviter un impact malencontreux en pleine tête. Elle ressentit la douleur dût à la pression qu’elle projetait contre le sac à mesure qu’elle accélérait. Plusieurs fois, elle devait reprendre du début, son rythme se distordant. Assimilant le principe, Lalee finit par se prendre au jeu. A la place du sac, elle s’imaginait frapper Cole, repousser ses remarques blessantes, humiliantes. Elle cogna des républicains, sur les membres du Comité, sur elle-même. Se faisant, la colère lui fit perdre le contrôle de ses mouvements et le sac vint percuter son nez. Elle poussa un cri étouffé par ses dents serrées et se détourna de l’exercice. Elle jura, lança ses poings dans le vide, la fureur annihilant son calme. Elle ne se défoulait pas contre sa haine mais contre sa culpabilité. Elle avait été incapable de protéger sa sÅ“ur, de sauver ses parents, d’être responsable. Lalee avait manqué de tuer son Instructeur parce qu’elle était trop idiote pour bien faire les choses. Elle se dégoûtait. Tout en elle la répugnait. Elle se plia et poussa un cri dans ses mains, laissant se déverser toute cette souffrance la prenant au corps. Se défouler physiquement ne lui suffisait plus ; il fallait qu’elle évacue quitte à s’arracher le cÅ“ur à coups d’ongles. Prise dans son hystérie, elle se jeta sur un sac de boxe et frappa de toutes ses forces. Ses doigts craquèrent ; le sac ne flancha pas. Frustrée, elle délaissa ses poings pour frapper de ses pieds, en furie. Elle en voulait à la Terre entière. Concentrée sur son défouloir, elle n’entendit pas la porte grincer.

 

Lorsqu’on l’attrapa par le cou, elle suffoqua de surprise. Elle fut jetée au sol et, aussitôt, un coup de pied vint heurter sa hanche. ‘Lee se tordit, ne comprenant pas.

 

  • Est-ce que tu sais qui il est ?, hurla une voix, Est-ce que tu sais ce qu’il est pour nous, pour la Cause ? Tu as faillis le tuer !

 

Britt. Lalee voulut se redresser, demander une accalmie. A peine sur ses jambes, Britt vint cueillir sa mâchoire, la renvoyant s’effondrer, face contre terre. Elle n’était pas seule. Combien étaient-elles ? On l’agrippa par le col, la relevant pour mieux l’offrir à la merci de tous. Un pied vint rencontrer l’estomac de Lalee qui valsa contre un sac. La jeune fille se protégea de ses avant-bras lorsqu’on lui décocha un fulgurant crochet du gauche.

 

  • Je ne voulais pas le mettre en danger !, cria ‘Lee.

  • Si tu ne peux pas servir la Résistance, va pourrir en taule ! Il est hors de question que l’on te laisse blesser Cole ! Nous avons besoin de lui ! Il ne doit pas mourir !

 

Non, Lalee ne voulait pas se faire rouer de coups. Pas encore une fois. Sa fureur ne l’ayant pas encore abandonné, elle s’en servit pour bondir sur Britt, la poussant de toutes ses forces sur un des tapis de lutte. On riposta en lui faisant une clé, l’étouffant presque. Que pouvait-elle faire contre des Résistantes entrainées ? Elle n’y connaissait rien. ‘Lee donna des coups de coudes. Voyant s’approcher Britt, elle se servit du support teigneux derrière elle pour lancer ses jambes en avant, repoussant de plus belle son bourreau qui tituba sous la pression des talons.

 

                Laissez-moi tranquille ! Laissez-moi tranquille !

 

Tout son être pria, supplia. Lalee se débattit comme un Diable. Elle se reçut un genou dans les côtes auquel elle répondit d’un cri furibond. Jusqu’à ce qu’une main ne fasse reculer Britt et arrache les bras enserrant le cou de Lalee.

 

  • Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?, hurla Cole, Quel âge avez-vous, bon sang ! C’est tout ce que vous avez à faire ? Vous battre pour des enfantillages ? Il est temps de grandir ! J’ai autre chose à faire que de jouer les paternels avec vous !

 

Un lourd silence tomba. Lalee se recula, remettant de l’ordre dans son uniforme. Elle prit de grandes inspirations pour supporter la souffrance du règlement de comptes. Cole congédia prestement Britt et sa compagne en proférant une promesse de sanction à venir. Puis, il s’approcha de son élève :

 

  • Tout va bien ?

  • J’ai connu mieux., répondit sèchement ‘Lee.

  • Qu’est-ce qui t’as pris de ne pas demander de l’aide ?

  • Je n’en ai pas eu le temps., rit jaune Lalee.

  • J’ai l’air de rire ?

 

Il ne plaisantait pas, en effet.

 

  • J’aurai plutôt cru que tu me laisserai encaisser pour me punir., avoua Lalee.

  • Une fille est venue me trouver après avoir vu la bagarre dans l’entrebâillement de la porte., lui expliqua-t-il, Je suis toujours en colère, oui, mais je ne tolère pas ce genre de comportements. Elles n’avaient pas à t’agresser et tu n’avais pas à riposter.

  • Si je savais la moitié de ce qu’elles ont appris, je leur aurai cassé les dents !, s’insurgea ‘Lee, les joues encore rouge.

 

Cole haussa les sourcils.

 

  • Ca viendra., lui dit-il.

 

La voir aussi désemparée et frustrée changea ses plans. Lalee s’était défendue comme elle le pouvait ; il réentendit les termes du Docteur Bayn lors de la Commission : « Son impulsivité peut être contrôlée Â» ; « Sa vengeance ne pourra que nous être utile. Â» Il médita quelques instants puis, lentement, posa une main sur l’épaule de la jeune fille. Pour la première fois, un contact se fit, démuni d’autorité, de violence. Lalee ne le repoussa pas, se surprenant à apprécier la chaleur du geste.

 

  • Utilise ta hargne pour mieux t’endurcir., fit-il doucement, Tu veux pouvoir te défendre ? Il va falloir travailler dur. Ca va prendre du temps. Il n’y aura plus d’excursions pendant un temps ; tu apprendras à la place. Tu vas suer, très certainement souffrir, mais je vais te pousser au-delà de tes limites. Crois-moi sur parole.

 

Malgré son ton aux connotations dures, inflexibles, Lalee découvrit cette façade encore méconnue de son Instructeur. Celle qui conservait ses bons cotés. Ce ne fut pas sa promesse qui fut percutante mais la main posée sur son épaule, le pouce effleurant sa peau. Sans doute lut-il dans ses pensées. Cole retira sa main qui laissa une caresse brûlante derrière elle. ‘Lee garda ses iris d’ambre fixés sur Turner jusqu’à ce celui-ci ne referme les portes du gymnase derrière lui.

 

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