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Gabrielle




          Gabrielle fut réveillée au beau milieu de la nuit, quelques heures après qu’on lui ait arraché la petite Sonnie des bras. Le lieutenant-chef directement sous les ordres du colonel Bellingam, accompagné de deux soldats, jetèrent des sceaux d’eau glacés sur les corps endormis de Dan Turner et du lieutenant. Ces deux derniers bondirent en sortant, d’un même geste instinctif, des couteaux de sous leur oreiller, prêts à en découdre. Au lieu de quoi, la voix tonitruante du colonel rugit dans leur cellule :

 

  • C’est maintenant que vous subirez les conséquences de vos actes ! Sergent, Lieutenant ! Vous avez deux minutes pour vous habiller et faire vos lits avant de rejoindre l’entrée du bâtiment de l’aile ouest !

 

                    L’aile Ouest … Les dortoirs des hommes.

 

L’adrénaline retomba les trente premières secondes durant lesquelles Gabrielle fit son lit de manière irréprochable, au centimètre près. Après quoi, elle entreprit de se vêtir de son pantalon, de ses rangers déjà accoutrée d’un débardeur blanc. Toutefois, au moment où elle s’apprêtait à enfiler sa veste d’uniforme, le lieutenant-chef l’arrêta, le lui interdisant.

 

  • Vous n’en aurez pas besoin, Lieutenant., dit-il d’un mauvais sourire.

 

Dan était déjà dehors, vêtu de sa veste, le col bien remonté jusqu’au menton. A cette heure-ci, la nuit était glaciale. Gabrielle fut la seule à n’avoir qu’un débardeur parmi la petite troupe qui se mit à courir en petites foulées jusqu’à l’aile l’ouest. Gabby aurait pu claquer des dents, mais sa mâchoire se serra, s’y refusant. L’incroyable fraicheur s’expliquait par la petite averse d’il y a quelques heures, parsemant les allées de flaques, inondant les crevasses faites par le passage récurrent des lourds véhicules militaires dans le régiment. Le colonel les suivait en conduisant une petite jeep, armé d’un porte-voix qui ne manqua pas de réveiller les résidents tant il hurlait à l’intérieur des vociférations abjectes. Vincens fut malmenée par les chemins qu’ils empruntèrent, le lieutenant-chef les précédant, n’hésitant pas à passer dans les flaques d’eau parfois traitresses au vu de leur profondeur. La jambe du Lieutenant fut mise à rude épreuve. La veille, elle avait tiré dessus. Elle ne serait pas étonnée de voir la plaie s’ouvrir de nouveau avec tous ses mauvais traitements. Ils arrivèrent devant l’aile l’ouest mais la troupe ne s’arrêta pas. Le lieutenant-chef les héla de ne pas ralentir et ils tournèrent autour sans s’arrêter durant une bonne heure, toujours suivis de la jeep du colonel. Gabrielle était gelée ; elle ne sentait plus ses orteils ni l’extrémité de ses oreilles. Le bout de son nez, écarlate, la démangeait ; ses narines piquaient. Dan, courant à coté d’elle, semblait se porter comme un charme, bien au chaud dans son uniforme au complet. Il devait se délecter de la voir ainsi défavorisée après leur altercation qui lui aura valu une défaite cuisante ainsi que la menace foudroyante de John.

 

A l’évocation de son nom dans son esprit, Gabby se raidit, manquant de provoquer une crampe dans sa jambe blessée. Elle revit les grands yeux ambrés de la petite fille et ses jolies boucles blondes quoique sales et emmêlées. Elle ressentait encore la pression de ses bras autour de son cou qui refusaient de lâcher prise. La détresse de John devant le fait accomplis lui serra la poitrine. La jeune femme culpabilisait … Mais elle ne parvenait pas à l’apposer sur son manquement au devoir envers la République ou à son incapacité à protéger l’enfant.

 

  • Lieutenant, vous êtes fatiguée ?, lui hurla dans le tympan le colonel, le porte-voix non loin de son oreille.

  • Non, monsieur !

  • Non quoi, lieutenant ?

  • Non, je ne suis pas fatiguée, monsieur !

  • Alors bougez-vous le cul, Lieutenant !

 

Gabby força l’allure, se rendant compte que le sergent Turner avait prit de l’avance sur elle. Ils coururent encore, durant ce qui parut à la jeune femme une éternité. Sa jambe la faisait souffrir. Il était près de cinq heures du matin lorsque les premières lumières des dortoirs s’allumèrent et que les têtes sortirent des fenêtres, curieux d’assister au spectacle de l’unité des Forces Spéciales en proie à des exercices nocturnes infernaux. Certaines unités prenaient déjà leur poste. Les soldats et les curieux sourirent allégrement lorsqu’ils aperçurent Gabrielle légèrement vêtue, ne cachant que peu ses charmes naturels. Dan leva les yeux vers les spectateurs lorsque certains commencèrent à lâcher des commentaires peu dignes de gentlemen. Le lieutenant-chef finit par s’arrêter en bas du bâtiment, au grand soulagement de Vincens qui se sentait défaillir. Turner avait ouvert sa veste, en nage. La jeune femme le maudit, elle qui n’aurait pas hésité à la lui arracher pour un peu de chaleur si elle l’avait pu.

 

  • Alors, quoi ? Déjà prêt à pleurer comme des gosses ?, ricana leur bourreau.

 

Le colonel arrêta la Jeep en retrait et fit signe à son subordonné de continuer. Le lieutenant-chef lia ses mains derrière son dos, prenant l’air hautain :

 

  • Sergent, Lieutenant, vous me faites cinquante pompes sur le champ, à mes pieds, tout de suite !

 

Sans rechigner, les deux soldats tombèrent sur leurs mains d’un mouvement souple et synchronisé, signe de leurs entrainements intensifs passés.

 

  • Pas ici pour vous, Lieutenant Vincens., grinça le mesquin.

 

Gabby l’interrogea du regard, en suspension. Son supérieur désigna une flaque d’eau profonde, près de son talon. Elle aurait été tentée de lui demander s’il s’agissait d’une blague de mauvais goût au lieu de quoi elle se redressa pour se placer dans l’eau boueuse et nauséabonde. Les rires gras des soldats se fit retentirent lorsqu’elle plongea les mains dans l’eau. La jeune femme eut un rictus.

 

                Bande d’enfoirés.

 

Dan la regardait du coin de l’œil. A l’inverse de ses compères, il ne partageait aucune hilarité.

 

  • On se dépêche ! Je n’ai pas qu’ça à foutre que de surveiller des trouffions dans votre genre !, vociféra le lieutenant-chef.  

 

Les deux soldats commencèrent les pompes. Sentant le degré bas de l’eau dès qu’elle plia les bras, Gabrielle remonta par reflexe. Ses matricules plongèrent dans le liquide brunâtre à l’image de sa fierté bafouée lorsqu’un pied des sous-fifres de son supérieur appuya sur son dos au moment où elle procédait à une nouvelle descente, l’immergeant avec violence dans la flaque. Il la garda ainsi plusieurs secondes avant d’alléger son poids, permettant au Lieutenant de refaire surface.

 

  • Dois-je vous apprendre à faire des pompes, Lieutenant ?

  • Non, monsieur., toussota-t-elle, crachant les brindilles et les grains terreux.

 

Les hommes sifflèrent à sa troisième pompe, lorgnant sur les courbes désormais visibles de sa poitrine. Turner claqua sa langue contre son palais, agacé.

 

  • J’ai deux pompes d’avance sur toi, Vincens., la provoqua-t-il, haussant le ton pour cacher les remarques outrageuses des curieux.

 

Gabrielle haussa un sourcil, tournant son attention vers lui. Son coéquipier lui offrit un sourire sarcastique qui lui fit bouillir le sang. Comment osait-il se permettre de la provoquer alors qu’il était évident qu’elle était le mouton noir de la journée ? Comme si elle n’avait pas déjà assez à supporter pareille humiliation.

 

  • Sergent, bien que nous soyons en train de nous donner en spectacle, répondit-elle tranquillement, Il n’est plus question d’une confrontation « d’égal à égal Â». Je suis votre supérieure à l’heure actuelle. Vous n’avez pas à me tutoyer.

​

Turner baissa les yeux sur la transparence de son haut blanc, aux tâches marron s’étant imbibées de la moisissure.

 

  • Je pense que l’on se connait bien maintenant., sourit-il de plus belle.

 

La jeune femme le gratifia d’un regard venimeux, décidée à lui donner une leçon de bienséance. Elle rattrapa ses pompes de retard et le devança d’une de plus. Turner, se prenant au jeu, accéléra sa propre allure. Les sifflements se changèrent en hélassions d’encouragement et de paris sur qui finirait le plus rapidement les cinquante pompes. Ils finirent par ne plus faire attention à la position délicate de Gabrielle, offerte à leurs regards gourmands. Une fois la dernière levée achevée, les deux duellistes s’apprêtèrent à se remettre sur pieds. Mais le superviseur les arrêta net, leur ordonnant de faire vingt pompes de plus.

 

  • Je les termine avant toi, Lieutenant ? Tu te fatigues ?, nargua Dan en les enchainant avec facilité.

 

La sueur perlait le front de Gabrielle. Elle tâchait de réguler la colère qui manquait d’empourprer ses joues. Ses bras la brulaient sous l’effort, sa jambe douloureuse tremblait sous la pression musculaire. Ses descentes dans l’eau lui glaçaient les os, son nez prit de picotements à mesure qu’elle en respirait par mégarde. Enfin, le supplice prit fin.

 

  • Ce sera tout pour aujourd’hui. Vous prendrez vos tours de garde après le déjeuner., fit le lieutenant-chef, dardant un regard déplacé sur Gabrielle qui se redressait.

 

Vincens voyait trouble, la gorge sèche. Dan semblait quelque peu fatigué lui aussi. N’importe quel humain serait dans un état pitoyable après pareils exercices retords. Gabrielle repoussa ses boucles humides en arrière, mettant de l’ordre dans son accoutrement. Turner s’approcha d’elle pour lui donner une tape sur l’épaule :

 

  • Partie remise., fit-il.

 

Gabby ne prit pas la peine de répondre, tirant sur son débardeur poisseux. Dan la prit en pitié. Il ôta sa veste, lui accordant un reste de dignité pour la cacher des regards le temps qu’elle regagne leur cellule. La jeune femme le toisa avec dédain en croisant les bras, refusant d’accepter cette prise en pitié d’un homme tel que lui, qui avait tout fait pour tenter de la faire sortir de ses gonds. Le jeune Sergent s’apprêtait à l’asséner d’une remarque acerbe lorsqu’une lourde veste sombre s’abattit sur les épaules de Vincens, assez grande pour la couvrir totalement.

 

  • Ca ira., refroidit John Braham, bien en face de Dan.   

 

Le colonel assista à l’intention du pilote, déconfit. Lorsque ce dernier se tourna vers lui, il démarra rapidement la Jeep, fuyant son regard lourd de reproches. Le Sergent Turner rit jaune, un rire qui avait finis par devenir familier aux oreilles de Gabrielle. Un son désinvolte et irritant. Mais John ne plia pas, restant de marbre. Dan battit en retraite en jetant sa veste d’uniforme sur l’épaule et s’éloigna d’eux sans un mot de plus. Une fois qu’elle fut assurée qu’il était assez loin, Gabby enleva celle de John de ses épaules et la lui rendit. S’attendant à une telle réaction de son amie, Braham n’insista pas en acceptant de la reprendre.

 

  • Votre punition de la journée a rapidement fait le tour du régiment., lui dit-il d’un sourire contrit, Je ne m’attendais pas à tant d’acharnement sur toi.

 

Gabrielle haussa les épaules, épuisée. Elle avait l’impression d’avoir tout le poids du monde pesant sur elle.

 

  • Tu es pale., s’inquiéta son ami.

​

La jeune femme apprécia la sincérité de John. Contrairement aux autres, il avait la décence de garder  soigneusement les yeux sur son visage. Gabrielle prit la peine de le remercier d’un mouvement du menton avant de prendre la route non pas vers sa cellule, où devait certainement se rendre Dan, mais vers l’infirmerie, en proie aux élancements fulgurants de sa jambe. Braham lui emboita le pas, respectant son mutisme. Il glissa les mains dans les poches, veillant à faire baisser la tête aux passants trop insistants. Gabby compta les minutes jusqu’à la bâtisse de l’infirmerie de manière à garder l’esprit clair et ne pas s’effondrer au beau milieu de la route. Le pauvre Lieutenant n’avait même plus le courage de répondre aux saluts qu’on lui accordait à son passage, ni la force de lever les yeux en croisant un supérieur, la main tremblante lorsqu’elle l’amenait à sa tempe.

 

                Dormir. Je veux dormir.

 

Ereintée, elle poussa mollement la porte de l’infirmerie, John la lui tenant à son passage par-dessus son épaule. Elle se traina jusqu’au premier lit qu’elle aperçut et s’y laissa tomber lourdement. A peine la tête posée sur le matelas, Gabby tomba en sommeil. Monica se présenta au bruit sonore du lit qui grinça, yeux ronds.

 

  • Oh god !, s’exclama-t-elle à la vue du pan du pantalon poisseux de sang de la jeune femme inerte.

 

John aida l’infirmière à installer convenablement le lieutenant puis, sans attendre l’ordre de Monica, Braham déchira le bas du treillis. Le bandage assombris du liquide pourpre aurait pu révulser une âme sensible lorsque l’infirmière s’attela à le retirer. La plaie suintante obligea John à fermer les paupières un instant, peu enclin à voir de telles plaies marquer la peau blanche de son amie d’enfance. Il se fit violence pour seconder Monica, laquelle grimaçait en constatant l’état de la blessure. Elle dû enlever les précédents points de suture pour recoudre de nouveau, jurant en américain.

 

  • Voilà que je soigne des soldats pour qu’on me les renvoie en plus mauvais états encore ! I wanna kick their fucking ass !

 

Ce débordement d’humeur réussit à tirer un gloussement au pilote de J.J, imaginant parfaitement bien cette petite femme fluette donner une correction musclée au colonel Bellingam. Gabrielle s’agita, sûrement tourmentée par de mauvais rêves. John s’approcha de la tête de lit et posa une main rassurante sur le front fiévreux de l’alitée. Une fois un bandage propre enroulé autour de la blessure, Monica s’adossa à la chaise, satisfaite.

 

  • Elle a très certainement dû serrer les dents à se les briser pour le supporter., commenta doucement l’infirmière, Quelle sottise de lui faire subir ça. Elle devrait être en repos.

  • C’est une battante, ne put s’empêcher de répliquer John, Elle tient le coup. Récemment, elle en a vu de toutes les couleurs mais elle ne se laissera pas intimider. Je lui fais confiance.

 

Monica dévisagea Braham, analysant son air abattu :

 

  • On dirait que vous cherchez plus à vous convaincre vous plutôt que moi.

  • Si je m’écoutais, je la garderai isolée chez moi loin de ces bureaucrates pourris jusqu’à la moelle., confia le pilote.

  • Et pourquoi vous ne le faites pas ? Votre position pourrait vous permettre d’imposer votre volonté. Vous êtes John Braham ! Qui, en France, ne vous connait pas ?

  • Je le pourrai, oui., acquiesça sombrement le jeune homme, Sauf qu’elle aurait tôt fait de me donner un soufflet mémorable pour me corriger. Elle refuserait que je la dorlote.

 

L’infirmière tira une moue :

 

  • Vous ne demandez que ça, hein ? La dorloter jour et nuit.

 

Comprenant le sous-entendu vaseux, John plissa les yeux vers Monica qui leva les mains prétextant qu’elle n’avait rien dit.  

 

                Gabrielle fut réveillée par Monica, à onze heures et demie. Ce réveil brutal lui rappela qu’elle devait déjeuner avant de prendre son tour de garde. En s’asseyant sur le rebord du lit, Gabby constata qu’on l’avait changé et remit une veste d’uniforme dont elle se revêtit avec gratitude. Ses membres encore gelés et engourdis goutèrent le tissu avec délice, s’emmitouflant de bonne grâce. La jeune femme se lava le visage, les mains et la nuque, suffisant à lui éclaircir l’esprit. Ses quelques heures de sommeil lui avaient fais du bien. Elle rejoignit le réfectoire pour prendre son déjeuner en dix minutes avant de retourner dans sa cellule où elle s’empara de son Famas obligatoire. Gabrielle le monta avec dextérité. L’aurait-elle fait en fermant les yeux, il n’y aurait pas eu de différence de temps. Elle glissa à sa ceinture ses chargeurs et la sangle du fusil autour de son buste. Enfin, elle se rendit à l’entrée du régiment où elle prit connaissance des équipes de sentinelles avec qui elle ferait équipe. Toutes les deux heures, deux hommes se relaieraient avant de se retirer dans le tout petit dortoir munis d’une kitchenette prévu aux gardes. Quant à Dan et Gabrielle, vu que le Sergent serait lui aussi de corvée, ils tourneraient toutes les quatre heures et ce, sur deux jours avec les nuits. Gabby mémorisa les noms des sentinelles, étant chargée d’aller elle-même les chercher lors des différents relais. Dan dormait déjà sur un des lits du dortoir, les bras repliés derrière la tête, son fusil près de lui. Silencieusement, le Lieutenant sortit de la pièce et prit place à son poste devant prendre le premier quart. Elle se permit de s’adosser au mur derrière elle, surveillant les allés et venus des véhicules et piétons.

 

                Durant les premières heures, elle resta debout, sans bouger avant de finalement faire des allés et retour lorsqu’elle le pouvait. Mentalement, Gabrielle comptait jusqu’à cent avant de revenir à zéro à chaque fois ; tactique efficace de son point de vu pour s’empêcher de penser à certaines choses qui avaient tendance à la troubler dangereusement. Au bout des deux premières heures, elle dû aller chercher le relaie des sentinelles. Se faisant, elle entra de nouveau dans le dortoir où Dan dormait encore. Elle en conclut qu’il avait le sommeil lourd au vu de sa position alanguis, comme un enfant étendu dans son lit. Gabby retourna à son poste et reprit les comptes. Heureusement pour elle, le repos de la matinée lui avait fait grand bien et l’empêcher d’avoir les paupières lourdes. Cependant, plus elle s’entêtait à vouloir garder l’esprit vide et plus la petite Sonnie, Alec et tous les visages des Résistants qu’elle avait achevé de sang-froid lui revenait par flash au point de lui brouiller la vue. Gabrielle se surprit à soupirer.

 

                Mais où ont-ils bien pu t’emmener, Sonnie ?

 

Elle sursauta, déconfite. Le Lieutenant se mordit l’intérieur de la joue reprenant à partir de « 59, 60, 61, 62, 63… Â». Mais elle se convainc d’arrêter ; c’était inutile, elle devrait bien assumer un jour ou l’autre ce qui la tourmentait. Elle passa des doigts légers sur sa nuque, repensant à l’odeur de fumée de la petite fille et à son désespoir. Pourquoi donc se surprenait-elle à s’inquiéter pour une enfant de Résistants ? Cette organisation ne faisait-elle pas tout pour faire s’effondrer le régime durement mis en place après plus d’un demi-siècle de massacre ? Une Nation, qui plus est, pour qui son père avait tout sacrifié, même sa propre fille ? Tous les fondements de la République ont été créés selon l’avis des peuples, et voilà qu’une bande de badauds armés de fourches et d’armes ridicules venaient hurler au scandale et revendiquer une liberté qu’ils pensaient usurpée. La cellule terroriste avait entraîné le glissement presque furtif du territoire français en une guerre civile, opposant les militaires aux citadins. Gabrielle tapa dans un caillou de sa pointe du pied, l’envoyant valser avec hargne droit devant elle. Il était plus que ridicule qu’elle se sente désarmée devant une fille de traitre… Complètement stupide. Et pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de repenser à tous ces visages d’enfants qui furent confrontés à la mort dont elle était l’investigatrice, à l’innocence de leurs regards. De quelle manière des gosses aussi jeunes pouvaient-ils prendre les armes contre la République ? Pourquoi en payaient-ils le prix ? Et puis… Gabrielle ferma les yeux, ses doigts se relâchant de son Famas. Sonnie avait eu besoin d’elle, d’une façon qui lui était inconnue. John était la seule personne qui s’était reposée sur elle, qui l’avait considéré comme une amie mais cette petite fille s’était accrochée à elle, l’avait supplié de l’aider. Ce n’était pas par sens de patriotisme, ou un soldat de son unité qui avait compté sur elle ; c’était une enfant qu’elle avait abandonné par devoir… Non, pas appréhension, par lâcheté. La jeune femme sut alors que tant qu’elle ne reverrait pas Sonnie pour mettre les choses au clair au plus profond d’elle, elle ne connaitrait plus cette tranquillité d’esprit qui la caractérisait si bien. Tant qu’elle ne comprendrait pas ce qui la tourmentait, elle ne pourrait remplir correctement ses fonctions et protéger la République comme il se doit. Alors, elle rouvrit les yeux. Gabby devait retrouver Sonnie.  

 

 

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