top of page

Gabrielle

           Les coups de fusil tintèrent dans l’obscurité, l’éclat des balles parsemant la pénombre d’éclairs lumineux avant de disparaître aussi nets. Leurs échos résonnaient encore lorsque les soldats de la République, dans leurs uniformes au blason de celle-ci : un aigle, nettoyèrent le peloton d’exécution des corps inertes, fusillés. Un caporal, au béret piteusement enfoncé sur son crâne, donnait les ordres d’une voix autoritaire. La ligne des officiers avait abaissé les fusils, rigoureusement placés à la droite de leur talon tandis qu’eux-mêmes se maintenaient aussi droits qu’un piquet, l’air implacable. Une porte blindée s’ouvrit dans un grincement sinistre sur la cour où étaient positionnés les soldats. Deux militaires en sortir en premier, leurs fusils sous le bras. Ils s’écartèrent prudemment, l’index soigneusement posé sur la gâchette. Ceux qui suivirent la sortie n’avaient rien de soldats. Quand bien même l’auraient-ils voulu, ils n’en auraient pas eu la carrure. Des femmes, des enfants et quelques adolescents marchèrent lentement, épaules basses et enchainés, vers le peloton nettoyé des cadavres mais pas de leur sang. Les femmes pleurèrent de concert, horrifiées à la vue du liquide pourpre suinter sous leurs pieds. Les adolescents pincèrent les lèvres, mais cette précaution vaine n’empêcha pas leurs larmes de couler tandis qu’ils furent placés dos aux soldats, contre le mur parsemé de gouttes rougeâtres, parfois brunis par le temps. Etrangement, les enfants parurent les plus calmes. Aucun n’émit une plainte, un grognement ou un sanglot. Ils se contentèrent de rester debout, silencieux. Se rendaient-ils seulement compte de leur sort à venir ? L’un d’eux, un jeune garçon blond, réussit tant bien que mal à serrer la main de sa mère, à sa gauche. Incapable de le regarder dans les yeux, celle-ci se contenta de fixer le mur devant elle, sanglotant bruyamment tout en resserrant les doigts sur ceux de son enfant. Emu par un tel désespoir, sans doute désira-t-il la rassurer en chantonnant une comptine. Quelques pleures s’amenuisèrent ne laissant la place qu’à des reniflements étouffés et résignés. Le caporal attendit qu’ils fussent bien alignés, l’œil sévère, avant de lever le bras :

 

  • Préparez armes !, cria-t-il.

 

Les fusils se levèrent d’un même mouvement mécanique, portés sur l’épaule, canon vers le ciel noir. Les condamnés frémirent au bruissement des uniformes et des cliquetis.

 

  • En joue !

 

Les canons bifurquèrent droit vers eux, les culasses aux creux des épaules. L’enfant blond continua de chantonner désormais bien plus pour lui que pour les autres. Sa voix fluette emplissait l’air d’une innocence qui n’avait plus lieu d’être. Durant un instant, le caporal sembla lui prêter oreille, montrant l’exemple à ses subordonnés qui restèrent immobiles, sans broncher. La main toujours levée, il sembla assimiler les paroles comme il boirait de l’eau fraiche à sa source. Mais cette brève écoute ne fut qu’un élan de fausse tendresse lorsque l’enfant l’acheva en montant dans les aigus.

 

  • Feu !

 

Les doigts, sans hésitation, appuyèrent sur les gâchettes, les balles partant en fusant dans l’air en un concert de coups de tonnerre. La voix de l’enfant blond s’étrangla lorsqu’une balle lui transperça la gorge avant de se ficher dans le mur. Il resta debout un instant, la plaie ouverte hideusement dégoulinante de pourpre avant de s’effondrer sur le corps de sa mère à la tête éclatée, dans une ultime étreinte. L’écho éteint des coups de feu, le silence retomba à l’image des corps inertes qui furent à leur tour nettoyés comme un simple amas de poussière. Un seul soldat eut fermé les yeux durant l’exécution. Gabrielle reposa son fusil près de son talon, serrant si fort la culasse de son arme entre ses doigts que ses phalanges en blanchirent. Elle ne quitta pas une seule fois du regard le corps de l’enfant jeté impitoyablement dans le camion funeste, la poitrine serrée dans un étau de culpabilité.

 

  • Exécution terminée, mon caporal., lança un des soldats.

  • Rompez les rangs., ordonna alors l’intéressé.

 

Gabrielle délaissa son garde-à-vous bien plus vite que les autres et, sans attendre la moindre suite de son supérieur, rompit les rangs sans un regard en arrière, le poids de son arme désormais sous sa poitrine, accrochée à l’aide d’une lanière autour de son buste, bien plus lourd qu’elle ne l’aurait imaginé.

La jeune femme, ayant rejoint son poste dans la caserne, s’adossa au mur dans un soupire las. Elle contempla quelques minutes le canon de son fusil avant de contempler les alentours.

 

 

              Près de deux ans après le début de l’invasion des nord-coréens en Europe, celle-ci avait finis par soulever une résistance militaire gargantuesque, prônant les valeurs nucléaires. Pris dans l’essor d’une nouvelle guerre contre l’Asie Orientale, les Etats-Unis eurent joins leurs forces aux armées européennes après avoir perdu leur nouvelle Pearl Harbour, s’évertuant à juguler l’avancée des coréens sur les nations de l’Ouest. Bientôt, les troupes japonaises et chinoises, pays touchés par les nombreuses attaques nucléaires, crièrent à l’injustice avant de se joindre à l’invasion coréenne, après le refus des Alliés de cesser le feu. Les Britanniques finirent par prendre position sur le continent africain, principalement dans la zone maghrébine, afin de parer toute attaque contre l’état français par les voies maritimes, leurs forces navales principalement positionnées le long de la Manche et dans l’Atlantique. Se faisant, ils durent essuyés une révolte des continentaux, refusant catégoriquement une nouvelle colonisation de leurs pays et un embrigadement de leurs forces militaires quelconques.

 

           Bientôt, la troisième guerre mondiale fut déclarée, bien plus meurtrière et compacte que toutes les autres lorsque les pays d’Arabie s’unirent à la cause nord-coréenne, profitant de cette occasion afin de lutter contre l’impérialisme américain de manière plus radicale. L’Etat français avait connu en moins d’un an, durant les débuts de la guerre, quatre présidents. Le ravage des attaques nucléaires n’épargnèrent personne que cela soit les gens du peuple ou les chefs d’Etat. Les bombes nucléaires rapidement désuètes finirent par être mises à la trappe, remplacées par de nouvelles technologies bioniques. Ces avancées technologiques furent conduites par un scientifique reconnu, Hanz Oznwer, recruté par les forces militaires françaises de l’époque. Il mit seulement dix années avant de concevoir des plans de soldats robotisés, fonctionnant à la simple connexion du cervelet de son pilote à sa base de données. La France occupée par les forces asiatiques, il dut mener ses recherches et la conception de cette armée bionique au cÅ“ur de l’Angleterre. L’élaboration de ses recherches mit plusieurs années avant que des escadrons de Bioniques soient placés dans les troupes Alliés, en première ligne. Durant leur temps de constructions, la Corée du Sud, principal pilier de résistants au cÅ“ur même de l’Asie, s’efforçait de faire barrage aux forces japonaises et coréennes. Ce fut principalement à Seoul que furent envoyés les premiers Bioniques qui permit à l’Etat sud-coréen de rester debout en plein cÅ“ur de la guerre. Le chef nord-coréen anticipa la désagréable surprise de voir ses infanteries boutées hors de la Corée du Sud en bombardant l’Angleterre dans une nouvelle salve nucléaire, dans l’espoir d’éliminer radicalement les scientifiques français exilés et leurs recherches. Le Docteur Oznwer fut toutefois conduit sur un porte-avion américain avant la destruction de Londres et le décès de la famille royale britannique.

 

           Suite à la perte de la Grande-Bretagne, les forces britanniques se retirèrent de la guerre, se soumettant à la suprématie de l’Asie Orientale. Les Etats-Unis, l’Espagne et l’Italie furent les derniers Etats représentant les forces alliées, la France et l’Allemagne n’ayant eu d’autres choix que de capituler quelques années auparavant. Hanz Oznwer entreprit de peaufiner l’armée des Bioniques, leur permettant une plus puissante force de tir et une résistance les rendant pratiquement insensibles à ceux des tanks ou les plus gros calibres ennemis. Très vite, les Bioniques passèrent par les plages de la Normandie et les frontières de l’Espagne pour récupérer la France occupée tandis que les Etats-Unis menèrent leurs offensives par le Pacifique, les Alliés attaquant sur deux fronts. Le général français, Robert Delanoé, travailla de concert avec le Docteur Oznwer et ses créations, utilisant les connaissances d’ingénierie de son compatriote à son avantage afin de récupérer Paris et toute la région ouest du pays. Petit à petit, ils finirent par reprendre la France et l’Allemagne. Les Etats-Unis, avec l’aide de la Corée du Sud, finirent par faire plier le Japon, la retirant de la Coalition asiatique avant de porter un grand coup sur la Corée du Nord. Pris en étau, les nord-coréens durent capituler sous l’oriflamme des Bioniques et les forces aériennes européennes. Les autres Nations suivirent l’exemple, permettant ainsi un retour à la paix tendue, sous la bonne garde des troupes alliées.

 

           S’en suivit une reconstruction maladroite de l’Europe. Toutefois, traumatisée par la nouvelle tournure de l’Histoire alors qu’elle eut songée qu’il n’y aurait plus jamais de guerre Mondiale, l’Europe ne parvenait plus à se remettre d’aplomb. Le Général Delanoé, représentant officiel de la France, proposa alors une unification des pays ravagés européens. Beaucoup dénigrèrent cette idée, refusant catégoriquement d’abandonner leur souveraineté. Seulement, Oznwer appuya la démarche et proposa aux citoyens d’en décider par un referendum. La souveraineté des nations serait préservée sous la forme d’un Parlement où elles y seraient entendues, mais ne formeraient qu’une seule et même entité gouvernementale sur l’Occident. Redevables et mettant Oznwer ainsi que Delanoé sur un piédestal, la grande majorité des peuples approuva  la proposition des représentants français. Les nations furent alors unifiées en un même Etat nommé « La République Â». Cependant, le général Delanoé insista pour que cette nouvelle nation ne tombe pas entre les mains de politiciens arrogants, incapables d’assurer la bonne entente internationales par des minauderies. Très vite, Delanoé prit la tête de La République en tant que Chef Suprême, appliquant la loi martiale. Les forces militaires républicaines gouvernaient d’une poigne de fer, usant de l’économie ruinée de l’ancienne Europe dans la recherche continuelle de nouveaux armements et parades de défenses, l’œil toujours rivé sur les pays islamistes et l’Asie Orientale.

 

         C’est dans cette nouvelle tournure politique qu’avait grandit Gabrielle. Une nation régit par la loi martiale et prônant les valeurs militaires jusqu’à réinstaurer le principe des écoles rigoureuses, difficiles où les enfants n’avaient d’autres choix que d’apprendre, non pas l’arithmétique ou les grandes Å“uvres littéraires, mais l’art du combat. Les états de services de Gabrielle lui avait permis d’entrer très jeune dans les Forces Spéciales républicaines et de tenir le poste de lieutenant. Toutefois, elle ne dérogeait pas à la règle de devoir être confrontée aux tâches ingrates soit : participer à l’exécution des Résistants.

 

          Une brusque tape sur l’épaule coupa la jeune femme dans ses pensées, l’incitant à sursauter de surprise. D’instinct, elle braqua son fusil devant elle, débloquant le cran de sécurité dans un cliquetis sinistre. Le jeune homme, en face d’elle, leva aussitôt les mains, son sourire trahissant l’amusement.

 

  • C’est toi qui rêvasse et c’est moi qui dois subir les pots cassés ?, rit-il finalement après qu’elle eut baissé le canon.  

  • Tu m’as surprise, c’est tout., répliqua-t-elle sèchement.

 

Elle n’était jamais encline à discuter avec qui que ce soit après une exécution et encore moins à plaisanter.

 

  • Ca fait une heure que Grow te cherches, finit par lui dire le soldat.

  • Qu’est-ce que tu fais dans cette zone, John ? (Gabrielle remit le cran de sécurité en le toisant froidement) Tu ne devrais pas être ici.

 

John haussa les épaules :

 

  • Je me suis dis que venir te saluer aurait pu te faire plaisir. (Il lorgna sur la mine sombre de son amie) Mais j’ai eu tort de croire que tu pourrais m’offrir un sourire.

 

Gabby soupira, exaspérée. John était un soldat certes, obéissant et rigoureux, mais elle avait tendance à ne pas supporter ses manières hautaines ni son accoutrement toujours lésé. Il avait la fâcheuse tendance à garder le haut de son uniforme autour de sa taille, préférant mettre en valeur son buste musclé, valorisé par ses débardeurs sombres. Gabrielle saisit les matricules de John, les levants à la hauteur de ses yeux :

 

  • Tu devrais t’en servir pour te rappeler où est ton poste., trancha-t-elle.

 

Il grimaça, s’écartant d’elle. Se faisant, il se dévissa le cou une seconde, laissant voir le trou dans sa nuque comblé par un amas de circuits fluorescents.

 

  • Ola, ola « mon lieutenant Â», ricana-t-il, Se serait-on levé du mauvais pied ?

  • Je ne suis pas ton lieutenant. Nous n’avons rien à voir au vu de nos unités radicalement différentes.

  • Être pilote de Bionique ne m’empêche pas de te rendre visite.

  • Quand nous sommes en service, si, rétorqua Gabby.

 

John esquissa une moue dubitative. Il finit par changer de sujet, conscient qu’elle refuserait d’en débattre.

 

  • Grow te cherchais mais je me suis proposé pour te retrouver, lâcha-t-il, les mains dans les poches.

  • Grow t’a confié sa mission ?, répéta laconiquement Gabrielle.

  • Faut croire. J’ai insisté quand même, hein !

 

Gabby assimila la nouvelle avec amertume. Son subordonné devrait en répondre lorsqu’elle le croiserait.

 

  • Bref, coupa court John, Le Général t’attend dans son bureau, à la Base-Mère.

 

Petit à petit, le visage de la jeune femme se décomposa.

bottom of page