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Lalee




                   Devant la porte, Lalee attendait. Toute patience l’avait abandonné depuis longtemps. Skill, assit à même le sol, la regardait faire les cents pas avec intérêt. Il s’ennuyait lui aussi mais la voir tourner sans relâche lui donnait une raison de rire des grimaces de la jeune fille se dessinant sur son visage anxieux. L’adolescent se rappelait comment son frère et lui-même avaient débarqué, en pleine nuit sous une pluie battante, dans cette Grande Salle. Ils avaient ressentis cette même inquiétude devant cette identique porte blindée.

 

                Ils avaient atterri ici sans vraiment comprendre pourquoi. Pour les Turner, la Résistance était leur échappatoire, leur planche de salut. Ils en étaient convaincus ; leur père avait été l’un d’eux. Cole trainait presque son petit frère, ce dernier encore choqué de l’abandon de leur ainé, Dan, et par la mort de leur paternel. A sept ans, il ne parvenait pas à comprendre qu’une famille puisse être détruite, implosant par elle-même, et que ses parents ne reviendraient plus. Qu’ils étaient tous les deux morts. A cet âge, il avait encore toute une vie à vivre ; il ne connaissait rien de son lourd apprentissage. Il pensait encore que le monde était parfait, sans accrocs. A partir du moment où leur mère fut emportée par un mal incurable, tout s’est effrité. Cole et Skill rejoignirent la Résistance puisqu’ils n’avaient plus rien. Cole avait raison : la République prenait beaucoup à tout le monde et attisait les envies de rébellion. Quand, dans la Grande Salle, les regards méfiants les eurent dévisagés, le demi-tour leur était venu à l’esprit. Mais, l’ainé Turner, du haut de ses quatorze ans, avait relevé le menton et les avait affronté tête haute. On les avait arrêtés, envoyés en cellule avant que Cole ne demande une audience avec le Comité. On la lui accorda, lui permettant de prouver sa valeur et son engagement. C’est avec le sourire qu’il était revenu chercher son cadet. Il avait réussis à gagner leurs places parmi la Coalition. Au fil des années, Cole multipliait les missions et autres excursions de reconnaissance dangereuses au grand damne de Skill qui l’attendait, inquiet. Il nourrit alors une envie de se surpasser, d’exceller dans l’électronique. Il admirait tellement son ainé, son courage qu’il aspirait, dans ses rêves, de l’égaler un jour. Cole était le seul frère qui lui restait, qui ne l’avait pas abandonné. Dan, lui, l’adolescent n’aurait su se prononcer. Malgré ses dix-sept ans maintenant, il ne comprenait toujours pas la décision de Dan. Il songeait parfois à comment il réussirait à formuler ses interrogations si jamais il avait de nouveau la chance de l’avoir devant lui.

 

                En voyant Lalee faire les cents pas devant lui, il ne pouvait que comprendre son angoisse. Ca faisait plusieurs heures qu’ils attendaient le verdict du Comité. Le ventre de Skill se tordit quand il l’imagina enfermé de nouveau dans la Prison si le résultat se trouvait être négatif. La jeune fille serait coupée du monde pour ce qu’elle représente malgré elle : une menace.

 

                Le grincement de la porte, lorsqu’elle s’ouvrit, le tira de ses songes. Près de lui, Lalee sursauta brusquement sans pour autant se départir de son calme. Cole apparut dans l’entrebâillement. Il n’affichait aucune expression susceptible de lui révéler quoique ce soit. Il l’invita à entrer. Avant de franchir le pas de la porte, la jeune fille se retourna vers Skill à la recherche d’encouragement que ce dernier lui offrit avec bon cÅ“ur. Elle lui sourit malgré l’angoisse trahis par ses yeux d’ambre. Au lieu de la conduire dans la salle où s’était déroulée la Commission, Cole l’amena directement dans le bureau de Haut-Dirigeant. Elle y entra mais il ne la suivit pas jusqu’au centre de la pièce, restant près de la porte. Hésitante, Lalee se tordait les mains mais fit en sorte que son appréhension ne se lise pas sur son visage. Elle ne pouvait se permettre de faire mauvaise impression si jamais elle était encore en phase de test. A son bureau, immense et en bois d’ébène, le chef du Mouvement l’arrêta sans l’inviter à s’assoir. L’antipathie que ressentait ‘Lee pour lui ne fit que s’accroitre d’avantage, surtout lorsqu’elle détailla la pièce. Celle-ci était richement paré, le bureau étincelant et d’excellente facture, en plus des vêtements du chef qu’elle remarqua pour la première fois : un costume trois pièces fait sur mesure. Ce type roulait sur l’or. Les yeux globuleux s’ancrèrent dans les pupilles ambrés avant que le grassouillet n’ouvre la bouche :

 

  • Mademoiselle Lalee. Nous allons rapidement clore ce sujet. Votre test d’admission s’est avéré concluant. Vous serez placée, pour une période d’intégration et selon le protocole, sous les ordres d’un Instructeur qui, dans le cas présent, sera monsieur Turner. (Elle se retint de grimacer) Nous avons besoins d’hommes sur le terrain. Aussi, vous serez rapidement mandatée pour participer, dans un premier temps, à des missions de reconnaissance. En conclusion, Mlle Binky Bell vous attend dehors pour vous attribuer un numéro de chambre.

 

Lalee ne parvint pas à assimiler le fait qu’elle soit considérée comme un simple pion envoyée sur le terrain le plus rapidement possible, sans préparation au préalable. Elle n’osa pas se tourner vers Cole, se contentant de foudroyer le Haut Dignitaire de son regard le plus noir. Elle fit volte-face, lui tournant le dos, sans prendre la peine de saluer son désormais supérieur. Elle sortit du bureau, pressée de sortir d’ici, de se réfugier quelque part pour digérer ces deux derniers jours. Quelle foutaise ! Elle n’y connaissait rien et serait envoyée sur le front le plus tôt possible. Dans sa fuite, ‘Lee ne remarqua pas Binky Bell lever la main vers elle pour l’arrêter. Furieuse, Lalee continua d’avancer sans remarquer les talons claquant le sol derrière elle. Enfin, elle perçut qu’on l’appelait. Elle finit par s’arrêter, manquant de renverser Mlle Binky Bell.

 

  • Mademoiselle Lalee !, commença-t-elle quelque peu essoufflée, Voici une note comportant votre numéro de chambre. (‘Lee s’empara du petit billet) Vous allez devoir vous rendre au Stand, près des salles de tir, pour retirer votre uniforme et votre arme. Puis…

  • Uniforme et arme ?, l’interrompit la jeune fille, suspicieuse.

  • Votre arme de service, oui tout à fait ! Libre à vous ensuite de vous entrainer. Quelques instructions avant de vous lâcher dans la fosse aux fauves (elle rit de façon superficielle) Vous ne bénéficierez pas du droit d’accès aux « Salles Spéciales Â», présentes de ce côté-ci (elle désigna une galerie partant sur la droite) et vous devrez demander une autorisation particulière pour avoir un passe d’entrée à la Prison. Sauf en cas d’exception. Vous me comprenez…

 

Binky Bell non plus ne se donna pas la peine de laisser à la jeune fille l’opportunité d’en savoir plus. Elle laissa ‘Lee sur ces mots, rejoignant au pas de course le bureau du supérieur en chef. La jeune fille secoua la tête d’exaspération. Elle remettait sévèrement en cause le Comité et ses proches assistants. Elle n’avait certainement pas apprécié la première rencontre, et encore moins la seconde. Et puis, quelle était cette histoire d’uniforme et d’arme de service ? Si elle voulait intégrer ce genre d’organisation, elle se serait présentée dans un régiment de Paris. Elle préféra se changer les idées en dépliant le petit billet où elle y lut : 104. A la perspective de partager un dortoir avec des tas d’autres filles, Lalee se renfrogna jusqu’à finalement hausser les épaules. Elle ne ferait qu’y dormir ; elle n’y passerait pas sa vie. Elle arriva à la porte blindée qu’elle ouvrit avec soulagement. De l’autre coté, Skill lui arracha un mince sourire. Si ‘Lee revenait, c’est qu’elle avait réussis. Il sauta de joie et la prit dans ses bras, surprenant la jeune fille qui tenta d’abord de se dégager avant d’en rire. Elle lui tapota gentiment le dos.

 

  • Tiens, regarde., lui fit-elle après qu’il l’ait eu lâché, Dortoir 104. Pourquoi suis-je dans un dortoir et pas vous ?

 

Skill grimaça :

 

  • Disons que le statut de Cole au sein du Mouvement est particulier. Ca lui permet d’avoir des privilèges et de m’en faire profiter aussi.

  • L’histoire de R-Alpha ?

 

Le jeune Turner haussa les épaules sans pour autant répondre. Lalee finit par lui expliquer qu’elle devait se rendre à un certain « Stand Â». Skill accepta de l’y conduire, trottinant les mains dans les poches devant elle. Elle repéra le même chemin qu’elle avait suivis la veille pour son entrainement aux tirs, sauf qu’ils s’arrêtèrent devant un … stand, c’était bien cela, qu’elle n’avait pas remarqué lors de sa dernière visite. Il devait très certainement être fermé et, donc, cloisonné comme un véritable caméléon. Il s’agissait d’une véritable armurerie et, au vu du bruit de lessive, d’une sorte de pressing. Un homme massif, tatoué de la tête aux pieds de façon fort laide, regarda à peine Lalee lorsqu’il lui ordonna de donner son nom et son numéro de dortoir.

 

  • Lalee. 104., répondit l’intéressée du bout des lèvres.

  • Alors Alfred-freddy-fred-fred !, le salua Skill en s’appuyant contre le comptoir, Ca roule ? C’est quoi le petit tatouage tout mignon du jour ?

 

Le dénommé Alfred leva ses petits yeux vers l’adolescent et poussa un grognement menaçant. Il réussit à effrayer ‘Lee mais Skill resta impassible, arborant toujours un immense sourire.

 

  • Il m’adore, ce type !, lança joyeusement Skill à l’égard de Lalee qui calculait déjà son temps de course entre le stand et la porte.  

  • Chut, chut !, le supplia la jeune fille en lui tirant la manche.

 

Elle fit un bond magistral lorsqu’Alfred plaqua l’uniforme plié sur le comptoir et posa dans la foulée l’arme de poing en toisant soigneusement Skill. Le message ne pouvait être plus clair. L’adolescent élargit son sourire et leva l’index vers Freddy qu’il approcha du visage bourru tout en le faisant gigoter ridiculement :

 

  • Freddy ! C’est Ginette !, joua Skill en faisant monter sa voix dans les aigus au timbre affreusement grinçant, Eh bah ! Mon bon vieux, je t’ai dis de ramener le pain et toi, que fais-tu ? Tu me ramènes une énième poupée gravé sur ta peau de gougeât ! Il faut choisir, Freddy ! C’est les tatouages ou moi ! Quoi ? Tu choisis les tatouages ! Tu…

 

Lalee prit très, très vite l’uniforme sous le bras et le révolver ainsi qu’une étrange ceinture qu’elle n’eut pas le temps de détailler. Elle prit le lobe de l’oreille de Skill l’obligeant à cesser ses pitreries, le visage d’Alfred virant dangereusement au pourpre.

 

  • Mais qu’est-ce que tu fais !, geignit l’adolescent en pleine course de fuite et emporté par ‘Lee.

  • Je nous sauve la vie ! Tu as vu comme il était rouge ? On aurait dit un homard ! Tu l’as rendu furieux, pauvre fou !

  • Mais non !, plaida Turner Jr, J’allais le faire éclater de rire ! Personne ne résiste à Ginette !

 

Lalee lui décocha un regard noir qui obligea l’adolescent à abdiquer. La jeune fille préféra se rendre dans la chambre des Turner pour enfiler l’uniforme plutôt que de découvrir maintenant le dortoir 104. Elle n’était pas encore d’humeur à affronter les douzaines de paires d’yeux qui l’étudieraient de la tête aux pieds. Les nouveaux vêtements n’étaient qu’en tissus : un haut blanc, immaculé, à manches courtes et un pantalon guérilla bleu nuit comportant à hauteur du genou plusieurs rangées de poches. ‘Lee dû resserrer plusieurs fois la ceinture pour ne pas perdre le pantalon. Elle prit garde, toutefois, de ne pas malmener les babioles accrochées à la ceinture qui n’étaient autre que de minuscules grenades. Elle ne savait même pas s’en servir. Il fallait être fou pour confier ce genre d’équipements à n’importe quel novice. Elle laça les rangers noires, très légères, et compléta l’uniforme en accrochant le support de son nouveau Holster à sa ceinture. Avant de sortir et de rejoindre le restaurant en compagnie de Skill, elle remonta sa longue chevelure sur le sommet de sa tête pour en faire une queue de cheval. Satisfaite, elle se contempla dans le miroir. Elle avait meilleure allure, meilleure mine. Si un jour où lui avait dit qu’elle deviendrait Résistante, elle ne l’aurait jamais cru…

 

  • Pour Sonnie., se dit-elle à elle-même.

 

 

Assis face à face, Lalee et Skill engloutissaient leur déjeuner avec un appétit d’ogre. ‘Lee n’avait pas mangé depuis la veille au soir et son estomac s’était chargé de le lui rappeler.

 

  • J’avoue que tu as vite été plongé dans le bain !, avoua Skill entre deux bouchées avec de la sauce coulant sur son menton.

  • C’est dingue, tout de même…, confia Lalee, Ils m’enverraient au front comme ça (elle claqua des doigts) sans formation, rien.

  • Il me semble, en plus, que Cole a une reconnaissance à faire demain. Il y a de fortes chances qu’il t’embarque, du coup.

  • Ils recrutent pour le plaisir de laisser les bleus se faire massacrer ?, bougonna Lalee, Tiens d’ailleurs ! Pourquoi tout le monde ne porte pas d’uniformes ?

 

Skill but son verre d’eau d’un seul trait avant de répondre :

 

  • Seuls les petits nouveaux portent l’uniforme. C’est histoire de repérer les nouvelles recrues plus facilement. Quand tu as fais tes preuves, tu n’as plus à le porter.

  • Tu sais vraiment beaucoup de choses., concéda la jeune fille, Ca fait combien de temps que tu es ici ?

 

L’adolescent haussa les épaules :

 

  • Dix ans.

  • Tant que ça ?, s’étonna son amie, Mais… (elle compta sur ses doigts) Tu as dix sept-ans, ça voudrait dire que tu es arrivé ici alors que tu n’avais que sept ans ?

  • C’est ça. Cole en avait quatorze.

  • Il a vingt-quatre ans, donc. Comment avez-vous tenu le coup, ici ? Pendant tout ce temps ?

 

Le jeune Résistant haussa un sourcil, mi-amusé mi-mélancolique. Comment avaient-ils tenu dans ce nid de vipères ? C’était simple : la hargne de son ainé leur avait permis de garder la tête hors de l’eau, de ne pas se noyer. Malgré le nombre de missions qu’on avait imposé à Cole ou encore les nombres d’heures durant lesquels ce dernier entreprenait tout pour parvenir à se perfectionner, l’ainé réussissait toujours à s’occuper de Skill. Depuis la mort de leurs parents, leur intégration au sein du Mouvement, un lien indéfectible s’était créé entre les frères. Ils n’étaient plus que tous les deux étant donné l’abandon de Dan. Préférant changer de sujet, Skill s’arma d’un stylo et d’une serviette en papier sur lequel il dessina un bonhomme aux joues gonflées, avec de la fumée lui sortant des narines. Lalee se pencha pour en prendre connaissance et éclata d’un grand rire en comprenant qu’il s’agissait d’une caricature d’Alfred. Ils se prirent au jeu de caricaturer le Comité, Binky Bell, et Lalee s’amusa à dessiner Cole de façon totalement grotesque. Elle le montra à l’adolescent qui se moqua du dessin. Ils furent pris d’un fou rire incontrôlable jusqu’à ce qu’une ombre ne vienne réfréner leur hilarité. L’ainé Turner croisa les bras, derrière Lalee, fixant le dessin moqueur devant elle. Skill déglutit et fit signe à ‘Lee de se retourner. Cette dernière n’avait pas besoin de suivre le conseil de son ami, reconnaissant du premier coup les mauvaises ondes qui piquaient la moindre parcelle de sa peau.

 

  • Je vois qu’il y’en a qui se repose sur leurs lauriers fraichement acquis., grinça Cole en s’appuyant à la table de façon à avoir la tête baissée vers Lalee.

  • J’ai bien le droit à une pause…, marmonna la jeune fille.

  • Pas sans mon autorisation., trancha Turner.  

 

Skill les regarda tour à tour avant de comprendre :

 

  • Cole, tu es devenu pour de bon l’Instructeur de Lalee ?

  • Malheureusement., répondirent le duo d’un même timbre marquant la déception.

 

‘Lee savait parfaitement qu’elle avait mit son mentor en rogne. Mais, de toute façon, quoiqu’elle fasse, il n’était jamais satisfait.

 

  • Evitez de vous entretuer, conseilla Skill, Pensez à ceux qui nettoierons derrière vous.

  • Termine rapidement de manger., ordonna Cole à son élève ignorant son frère, Demain, je vais en reco’ et tu m’accompagnes. Autant que tu saches rapidement ce dans quoi tu t’embarques. Tu mettras sans doute plus d’ardeur à la tâche au lieu de te la couler douce.

 

Lalee lui décocha un regard venimeux, tout en mâchant son dernier morceau de viande trop cuit. Décidément, elle ne pouvait pas supporter ce type. Une fois qu’elle eut terminée de manger, elle le suivit d’un pas trainant, peu motivée.

 

                Ils sortirent du QG, sortant par la même trappe d’il y a deux jours. Lalee maugréa plusieurs minutes avant et après avoir prit l’ascenseur rouillé qui lui inspirait toujours aussi peu confiance. Cole prit soin de camoufler l’entrée avec le tapis de verdure et ils s’enfoncèrent dans les fourrés. Il ralentit la marche pour que ‘Lee puisse marcher à sa hauteur et se mit en phase d’explications, optant pour le ton le plus pédagogique possible :

 

  • Comme tu viens avec moi demain, je préfère que tu apprennes les points basiques de ce genre d’opération. Les environs sont surveillés et protégés par des caméras et des patrouilles de Résistants. Par exemple, une patrouille vient de passer à vingt mètres de nous. (Lalee regarda autour d’elle, surprise de cette information) Tu ne les as ni entendu, ni vu. Cette discrétion et rapidité de mouvements est un point fort de notre Coalition et permet des attaques si foudroyantes que la République n’a même pas le temps de comprendre ce qui lui arrive que nos troupes sont déjà soigneusement cachées six pieds sous terre ou camouflées.

 

Ils marchèrent encore quelques minutes. Cole avait un endroit bien particulier pour ce genre d’exercices. A maintes reprises, Lalee trébuchait dans un bruit effroyable. Elle poussait des jurons et tapait dans la racine ou le caillou ayant manqué de la renverser. Son Instructeur ne cessait de se demander pourquoi on l’avait assigné à cette fille. ‘Lee, décidée à ne plus se laisser berner par une des racines de la forêt, bondit au-dessus de l’une d’elle. Calculant mal son élan, elle atterri en butant contre le dos de Cole qui resta aussi statique qu’un mur. A son contact, il la repoussa vertement ne cachant pas son exaspération.

 

  • Je vois que la discrétion est un point à sérieusement travailler !, gronda-t-il, Comment peux-tu être aussi maladroite !

  • Je ne vais pas m’excuser parce que je suis inexpérimentée !, rétorqua Lalee en croisant les bras sur sa poitrine, Je suis là pour apprendre.

  • Ce n’est même plus une question d’expérience ou non. Là, c’est désespérant.

 

Quand il reprit la marche devant elle, la jeune fille l’affubla d’un geste odieux qu’elle cacha rapidement lorsqu’il lui jeta un bref coup d’œil. Ils finirent par s’arrêter dans une zone dégagée, travaillée pour être entourée de bosquets. Cole désigna le centre de la zone :

 

  • Je vais me placer là-bas., lui expliqua-t-il, Le but est que tu me contournes, le plus discrètement possible dans ces bosquets. Il faudra que tu me surprennes sans que je ne te détecte. Nous procéderons comme en situation réelle. Si je t’entends, même si c’est un exercice, je réagirai. Pour éviter tous bruits trop sonores, regarde bien où tu mets les pieds : branches, caillasses, même certains points terreux craquelés. Tout est susceptible de te trahir même ta respiration. Confonds-toi avec tout ce qui t’entoure. Autant l’environnement peut être ton ennemi comme il peut t’être salutaire. A toi de faire preuve de jugeote… (son regard s’assombrit d’avantage) si tu en es capable.

 

Il ne la laissa pas répliquer, se dirigeant vers le centre de sa marche assurée et charismatique après lui avoir donné un couteau. ‘Lee mourrait d’envie de lui donner un bon coup de pied là où il fallait pour le remettre à sa place.

Lalee se positionna, accroupie, derrière un arbre attendant quelques instants que tous deux soient prêts. L’épreuve allait être rude pour elle et ses deux pieds gauches. Elle massa ses épaules pour les échauffer sans un son et s’élança. Elle tâcha de soulever consciencieusement ses pieds avec souplesse et de les reposer ensuite sans faire craquer l’herbe sèche ou taper dans une caillasse selon les conseils de son Instructeur. Si la fille qu’elle était dans le passé l’avait vu faire, sans doute aurait-elle rit de la voir aussi désemparée et crispée. Elle se secoua pour reprendre son sérieux et estima préférable de ne pas lâcher Cole du regard, consciente que, lui, serait capable de la prendre à revers dans la seconde. Elle ne devait en aucun cas relâcher son attention. La jeune fille sentit que son pied resta dangereusement en équilibre sur un tas de cailloux près à dégringoler au moindre mouvement. Elle déglutit. Elle hésita de longues secondes, appréhendant le verdict lorsqu’elle passa son autre jambe par-dessus avant de soulever délicatement l’autre. Aucune chute ; aucun bruit. Malheureusement, s’enorgueillissant à tort, elle reprit ses appuies bien trop lourdement. La terre broncha, s’éparpillant en fêlures sonores. Cole réagit et se tourna vers la provenance du bruit. Lalee eut juste le temps de bondir derrière un tronc d’arbre. Petite et menue, son corps fut dissimulé aussitôt. Elle reprit son souffle. Rien que le fait de voir son Instructeur menacer de la débusquer lui tordait l’estomac. La situation la stresser beaucoup trop, comme si c’était une chance pour elle de revivre leur désastreuse première rencontre afin de lui échapper. Plus détendue après avoir profité de sa planque, elle reprit l’exercice. Du moins, c’est ce qu’elle entreprit avant de remarquer l’absence de Cole au centre de la zone. Les battements de son cÅ“ur se répercutèrent lourdement dans sa poitrine au point qu’elle craignit qu’ils ne soient entendus. Elle avait été trop longue ; elle était restée caché trop longtemps derrière l’arbre, proche de l’endroit où elle n’avait pu rester discrète. Un souffle chaud derrière sa nuque la tétanisa. Elle sut immédiatement qu’il était derrière elle. Comment avait-il fait ? Comment avait-il pu être aussi silencieux et indétectable ? Toute sa carrure jouait en sa défaveur, pourtant. D’instinct – et parce que c’était Cole qui imposait son aura menaçante – elle voulut se retourner, prise dans un élan d’auto-défense, le couteau en main. Elle ne fut pas assez rapide. Turner lui saisit le poignet, la désarmant avec une facilité déconcertante. Lalee retrouva son instinct de survie, sa bataille avec le soldat lui revenant par flash. Elle transpira, haleta d’angoisse. Elle ferma les yeux dans un cri et envoya son genou vers l’entrejambe de Cole. Prévoyant le coup, ce dernier balaya ses jambes de la sienne, lui faisant perdre l’équilibre. Par reflexe, elle lui saisit le cou et l’entraina dans sa chute. Rapidement, il bloqua la cuisse de ‘Lee sous son genou et l’immobilisa dans l’élan en bloquant ses avant-bras de sa main. Vif, il dégaina son Holster dont le canon vint se planter dans le creux du menton de la jeune fille. Le silence se fit ; le regard lourd de déception de l’Instructeur parla pour lui. Avec brutalité, il se redressa sans aider son élève à en faire de même. Pour celle-ci, c’était comme une impression de déjà-vu.

 

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