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Gabrielle

                J’ai hésité. Je n’ai fais qu’hésiter.

 

Les flashs oppressèrent Gabrielle. Les souvenirs engloutirent son inconscience, dévorant tout : ses certitudes, sa confiance en elle.

 

                J’ai faillis.

 

Elle ressentit de nouveau le pied de biche s’enfoncer dans son tibia, fouiller dans sa chaire pour se retirer dans l’espoir de porter un coup de grâce, crissant sur son os. Ce mal qui lui rongea le cœur, lui projetant son hésitation, la crosse de son arme au-dessus de la tête blonde de ce petit garçon. Et sa traitrise. Elle avait bousculé un coéquipier. Elle l’avait empêché de mener à bien leur mission quand bien même fut-elle dans le brouillard. Si ce fameux Dan n’avait pas été prompt à réagir, sans doute seraient-ils tous les deux morts.

 

                Mais lui aussi, il a faillis. Il a désobéit.

 

Les iris d’orage transpercèrent la pénombre de son cauchemar, munis de haine, de rancœur. Elle se revit être soulevée sur son épaule, comme si elle n’avait pas pesé plus lourd qu’une plume. Malgré qu’elle l’ait poussé, il lui avait sauvé la vie. Bien que cela soit à double-tranchant. En contrepartie, lui aussi n’avait pas agis comme il l’aurait dû.

 

                Nous sommes coupables. Je n’aurai pas dû, je n’aurai pas dû. Pourquoi ai-je hésité ?

 

La terreur dans le regard du père bondit sur elle comme un tigre fou, accompagné de la fulgurante détonation de la grenade.

Gabrielle ouvrit les yeux.

 

         La lumière du jour les lui brûla comme de l’acide. Elle les ferma un moment ; papillonna des cils cherchant à s’habituer à une telle luminosité. Elle voulut déglutir mais sa salive rencontra la sècheresse de sa gorge, se bloquant comme si elle affrontait un barrage en béton. Elle tenta de se redresser mais son crâne lui en empêcha, douloureux au point qu’elle crut un instant qu’une entité s’en servait à la place d’une enclume. La jeune femme battit en retraite, reposant sa tête sur l’oreiller.

 

                Un oreiller ?

 

Elle perçut les sonorités aigues d’un moniteur cardiaque à sa gauche, la texture de la couverture rêche et, enfin, les bruits de pas sur sa droite. Elle tourna le regard vers eux, et reconnut l’infirmière de son régiment, Monica Archer, américaine. Elle portait l’uniforme de médecin de guerre, ses cheveux blonds tressés, courts. Monica sentit le regard de Gabby sur elle ; elle se tourna vers l’alitée, une moue satisfaite aux lèvres.

 

  • Comment vous sentez-vous ?, lui demanda-t-elle en américain.

 

Gabrielle prit le temps de traduire, l’esprit embrouillé rendant la traduction plus difficile.

 

  • J’ai connu mieux., répondit le lieutenant dans la même langue, articulant avec difficulté.

 

Monica s’approcha, un verre d’eau munis d’une paille en mains. Elle aida la blessée à boire. Le liquide tiède manqua de faire grimacer le soldat.

 

  • Que s’est-il passé ?, s’enquit Gabby, hydratée.

  • Vous avez plusieurs contusions et une artère sectionnée. Le garrot aura permis d’intervenir très rapidement avant que vous ne vous vidiez de votre sang, Lieutenant. Vous risquez de boiter un bon moment.

 

Gabrielle chercha à bouger sa jambe blessée. Elle eut mal mais rien d’insupportable. Sur la chaise près des barreaux de son lit, elle aperçut son uniforme kaki et son béret ainsi que les rangers en dessous. Elle manqua un soupire ; le message était clair. Au vu de la gravité des pertes durant la funeste mission, elle devait s’attendre à devoir en répondre devant un supérieur. Gabrielle chercha Dan dans l’infirmerie mais elle ne vit que des lits vides. Monica sourit :

 

  • Ses blessures n’étaient pas importantes. Il a pu reprendre du service très rapidement. (Elle désigna l’uniforme) J’ai reçu l’ordre de vous prévenir que vous êtes attendu dans le bureau du colonel, dès votre réveil. (Elle pointa de nouveau un doigt sur une béquille, contre le mur) Vous pouvez vous déplacer avec ceci, bien que je rechigne à ce que vous vous leviez vu votre état.   

 

Gabby ne répondit pas. Elle contracta ses muscles, se faisant violence pour s’assoir et poser les pieds au sol. Serre les dents ; serre les dents. Elle se dévêtu de son short blanc, enfilant son treillis. Le tissu frotta contre la plaie, bien que celle-ci soit soigneusement bandée. En enlevant son débardeur, ignorant la présence d’Archer, elle constata les hématomes violacés sur ses bras et sa hanche. Elle les tâta du bout des doigts, cillant à peine sous les vagues de souffrance. Monica fronça les sourcils, trouvant ce geste curieux. Gabrielle, une fois en uniforme après avoir soigneusement régularisé ses épaulettes aux deux barrettes jaunes, attacha ses propres boucles noires en chignon avant d’assurer son béret sur sa tête. L’emblème du régiment, un dragon sur fond vert, décorait le coté droit sur le tissu noir. Gabby ferma un instant les yeux, prenant une profonde inspiration ; elle se leva. Sa jambe la tirailla mais elle ne se saisit pas de la béquille. Elle ferait sans. La jeune femme salua d’un mouvement du menton l’infirmière et sortit de la pièce, en boitant.

 

                 La silhouette de John Braham se dressa devant Gabrielle lorsqu’elle referma la porte de l’infirmerie. Il avait attendu son réveil, assis patiemment sur les marches.

 

  • Gabby !, l’appela-t-il en s’approchant plus près.

 

Son amie secoua la tête, lui indiquant qu’elle n’était pas prête à entrer dans une longue conversation ni même des cajoleries même s’il mourrait d’inquiétude, elle le savait.

 

  • Dans quel état tu es…, souffla-t-il.

 

La lèvre fendue et gonflée de Gabrielle le fit frémir. Il tendit la main vers son visage, caressant la lèvre tuméfiée de son pouce. Gabby ne se détourna pas même lorsqu’il passa ses doigts autour de sa boucle rebelle près de son oreille.

 

  • Comment te sens-tu ? Tu ne devrais pas te lever !, la sermonna-t-il en retirant sa main, se rendant compte de son geste déplacé.

  • Je n’ai pas le choix., répliqua-t-elle.

 

John comprit l’insinuation, plissant les yeux. Quelques soldats de Secondes et Premières classes passèrent près d’eux. Bien qu’ils fixèrent froidement Gabrielle, ils la saluèrent de façon officiel, la main sur la tempe. Braham les força à baisser les yeux, de son regard noir. La jeune femme leur rendit leur salut, sans rancune. Elle s’était attendue, dès son réveil, à une telle animosité. Elle attendit que les soldats se soient éloignés avant de se tourner vers John :

 

  • Tu connais le type qui était avec moi lors du rapatriement ?

  • Celui qui t’a sauvé la vie, tu veux dire ?, piqua Braham d’un sourire sarcastique.

 

Cette remarque lui valut le regard glacial de son amie. John soupira :

 

  • Il fait partit des Forces Spéciales, tu devrais être mieux placée que moi pour le savoir.

 

Entendre « Forces Spéciales Â» titilla Gabrielle, se rappelant du visage de Bryan et du capitaine Orlow.

 

  • Les autres ?, lança-t-elle.

 

La mine de John s’assombrie :

 

  • L’unité de Bryan n’a pas survécu. Une bavure, soi-disant.

  • Bavure ?

  • Le même cas d’explosif. Une véritable vague qui a consumé tout le monde. Les Résistants sont de mieux en mieux armés. L’unité de Bryan n’a rien vu venir ; ils se sont fait avoir.

 

Gabrielle ne fit aucun commentaire. Ce n’était pas vrai. L’étrange arme s’était retournée contre les républicains ; la cellule terroriste n’y était pour rien. Si John n’avait pas eu vent de cette information, le doute s’insinua dans l’esprit du lieutenant Vincens.

 

  • Le capitaine Orlow ?, questionna-t-elle.

  • Il n’était pas sur le terrain., répondit le pilote de Bionique, Vous n’êtes que trois à en être sortis indemnes. (Il baissa de nouveau les yeux sur la lèvre de Gabrielle) Enfin … Presque indemnes.

  • Je pensais qu’il serait en retrait avec un gars de la transmission., fit remarquer Vincens, Comment se fait-il qu’il était seul dans le P4 ?

 

Braham se mua d’une expression dubitative. Il analysa rapidement ses propres informations avant de comprendre que l’action fut illogique.

 

  • Il n’avait pas à être seul dans le véhicule., confirma John, tendu.

  • Nous ne pouvions procéder à aucune transmission…, chuchota pour elle-même Gabby.

 

La fureur marqua le front de Braham.

 

  • Tu penses à un guet-apens ?, grinça-t-il, se contenant du mieux que possible.

 

Gabrielle ne répondit pas, elle-même perplexe d’un tel constat. Orlow avait consciencieusement divisé les troupes, sans être resté à couvert dans le P4 avec un soldat chargé de la radio. Il n’avait donné aucune indication sur la mission, les laissant dans l’ignorance tandis qu’ils courraient droit vers un nid de Résistants en infériorité numérique. Vincens sentit son cerveau bouillir à force de reconstituer les quelques bribes de ses souvenirs flous. Elle se secoua la tête, incapable encore de faire preuve de raisonnement. Sa principale préoccupation actuelle était de garder la tête haute durant son entrevue avec le colonel du régiment, Scott Bellingam. Gabrielle reprit sa marche, boitillant, mâchoire crispée. John la suivit, voulant l’aider en lui soutenant le bras. Cette fois, elle se dégagea sèchement. Braham leva la main, en guise de réédition. Il l’accompagna jusqu’au bureau du colonel, lui jetant des coups d’œil inquiet. Gabrielle s’arrêta en apercevant Dan, assit près de la porte du bureau. Il ne semblait ni angoissé ni même coupable. Pourtant, lorsque leurs regards se croisèrent, ils se comprirent instantanément, et partagèrent la même lassitude. Lui aussi devait très certainement être au courant de la décimation des troupes des Forces Spéciales. Ils n’étaient plus que deux ; cette pensée fit légèrement frémir Gabby. Sans le vouloir, elle songea aux enfants les plus doués aux crânes rasés, dans ces écoles stricts, sûrement basculés dans les campements prévus à la formation des élites dès l’annonce des pertes humaines de l’ancienne unité. Ces gosses qui suivraient la même enfance que le lieutenant, dormant dans des cellules, dans un carcan d’humiliation continuelle à apprendre que les sentiments humains devaient être oubliés, subir des entrainements si intensifs que certains conduisaient à la mort. Combien de fois Gabrielle avait vu ses petits camarades succomber à des crises cardiaques, des ruptures d’anévrismes ne supportant plus le stress, la pression, les labeurs physiques qui leur étaient infligés. Les plus lourdes pertes se constataient toujours durant les résistances à la torture. A dix ans, comment résister à pareilles douleurs, causés par des instructeurs amoraux… Des bribes de ces entrainements revinrent à la mémoire de Gabrielle, déjà bien trouble. Ces trois hommes, autour d’elle tandis qu’elle restait ligotée à une chaise, les poignets rouges de sang écaillé, lacérés, après ses luttes acharnées pour se libérer des Serflex. Les yeux aveuglés par le faisceau du projecteur pointé droit sur elle au point de lui bruler la rétine. Les fractures dont elle gardait encore les cicatrices, les coups de fouets, les brûlures à la cigarette, vicieusement enfoncée dans sa chaire jusqu’à ce que l’odeur de viande cuite n’imbibe la cellule. Tout comme elle, pour qu’elle arrive à ce grade, à sa position au sein des armées, les enfants subiraient le même sort et, de même, ils ne pourraient ni pleurer ni geindre.

Juste subir, obéir, survivre.

La porte du bureau s’ouvrit, et le capitaine Orlow en sortit. Dan se leva aussitôt, près de Gabrielle. De concert, ils firent le salut. Ils patientèrent posément. Orlow les toisa de la tête aux pieds. Dan soutint son regard sans broncher. John Braham resta en retrait, assistant à l’échange sous tensions. Entre Orlow et ce soldat, quelque chose n’allait pas. Gabby finit par soutenir le même défis mais ce qu’elle vit attisa de plus belle ses doutes. Lorsqu’il passa près d’eux après avoir rendu leur respect, il esquissa un sourire. Léger, mais en coin s’étant voulu discret mais incontrôlable. Une provocation. Ils rompirent leur posture, suivant du regard la haute carrure de leur capitaine. Assurés que c’était à leur tour, Dan et Gabrielle frappèrent à la porte du colonel. Braham croisa les bras, ne lâchant pas du regard le lieutenant jusqu’à ce que la porte ne se referme derrière eux.

Gabby prit soin de rester bien en face du bureau et du colonel Bellingam en refermant la porte. Une procédure qu’ils apprenaient dès leur entrée dans les écoles. On ne tourne jamais le dos à un supérieur. Dan attendit le cliquetis de la poignée et que sa partenaire soit à sa hauteur avant d’avancer de concert, en rang bien formé, jusqu’au bureau. De nouveau, ils saluèrent mais, cette fois-ci,  en s’annonçant :

 

  • Sergent Turner, mon colonel, 13ème régiment de Paris, Forces Spéciales Républicaines.

  • Lieutenant Vincens, 13ème régiment de Paris, Forces Spéciales Républicaines, mon colonel. 

 

Scott Bellingam leur fit signe de se mettre au repos. Se faisant, Dan et Gabrielle ôtèrent leur béret d’un geste bien précis, les glissant à leur ceinture ; Dan devant lui, Gabby dans le bas du dos. Enfin, ils lièrent leurs mains derrière eux, droits, mentons hauts. Chacun de leurs gestes fut coordonné, en parfait duo. Scott les jaugea, ne dissimulant pas sa curiosité. C’était un homme d’un âge déjà bien avancé, mais rien d’étonnant au vu de son poste. Pour prétendre aux plus hautes sphères de la hiérarchie, le vécu jouait beaucoup sur la balance. Ses cheveux poivre-et-sel, coupés très courts, lui donnait à la courbe de son visage une symétrie presque rectangulaire, adoucis par la cambrure de sa moustache plus éclaircie au-dessus de sa lèvre supérieure. Ses petits yeux, deux fentes plissés tant par les rides que par son expression curieuse, transperçaient les nouveaux venus. Tout en lui chantonnait la malice, la ruse … les mauvais coups. Un renard ; ce type est aussi fourbe qu’un renard. Gabrielle connaissait les plaisanteries de mauvais-goût des hauts-gradés. La faute durant la mission restant de grande envergure, elle ne serait pas surprise d’en faire les frais. Selon la gravité des faits, un officier pouvait se retrouver rétrogradé dans le simple fil d’une conversation avec un supérieur. Tout en s’adressant au soldat, le colonel pouvait passer de lieutenant, sous-lieutenant, major, adjudant-chef, adjudant jusqu’à saluer en cas de congés par un « Bonne journée, Sergent-chef Â». Gabrielle pouvait très bien avoir investis le bureau de Bellingam en tant que Lieutenant pour en ressortir en tant que  Sergent-chef, perdant de nombreux galons en dix minutes à peine.

 

  • Lieutenant Vincens, Sergent Turner, je pense que vous savez pourquoi vous êtes ici.

 

Bon point pour eux. Pas encore rétrogradés.

 

  • Le capitaine Orlow m’a fait part de la mission désastreuse. Le Lieutenant Bryan Omalay a succombé avec toute son unité lors de l’intervention. La moitié de votre division, quant à elle, a suivis le même chemin. (Il ouvrit un rapport devant lui) Selon le rapport de votre capitaine, Lieutenant Vincens, vous n’avez pas su analyser les risques de la mission.

 

Gabrielle aurait rit si elle se l’était permise. Dan esquissa un léger froncement de sourcils avant de jeter un coup d’œil vers elle.

 

  • J’espère que vous avez une bonne raison, Lieutenant, pour avoir conduit votre unité à un tel massacre.

  • Permission de parler, mon colonel ?

  • Oui, lieutenant.

 

Gabby prit quelques instants pour préparer sa réponse :

 

  • Mon colonel, tout ce que je pourrai vous dire ne changera rien aux faits. Nous avons été pris par surprise ; je soupçonne l’ennemi de nous avoir tendu un piège.

  • Seriez-vous en train de rejeter la faute sur votre capitaine, Lieutenant ?

  • Non, mon colonel.

  • Alors qu’est-ce que ce ramassis de conneries !

 

Gabrielle resta de marbre, ne bronchant pas au haussement de ton.

 

  • Vous êtes la meilleure unité républicaine et vous voulez me faire croire que des badauds auront réussis à vous foutre un tel pied au cul ?, continua Scott, postillonnant sur les deux soldats, Le capitaine Orlow a supervisé la mission et ses états de service sont exemplaires. Ce n’est pas ce que j’ai cru lire dans vos rapports, Lieutenant Vincens.

 

Ainsi donc, le véritable bouc-émissaire était Gabrielle. Le colonel ouvrit un second rapport sur le premier d’où la jeune femme distingua sa propre photo.

 

                Mon dossier.

 

  • Certes, vos compétences sont excellentes mais votre comportement soupèse un doute.

 

Toujours la même rengaine.

 

  • Alors, Lieutenant, pourquoi ne pas avoir obéis au capitaine Orlow et ne pas quadriller que l’extérieur des bâtiments ?

 

Dan Turner releva le menton, interloqué.

 

  • Mon colonel, je ne suis pas certaine de comprendre., répliqua Gabrielle.

  • Vous êtes entrés dans un bâtiment condamné sans l’ordre de votre capitaine.

 

Les deux soldats échangèrent un regard en coin. Le sourire d’Orlow prenait tout son sens ; il leur avait fichu l’échec de la mission sur le dos, puisqu’il savait pertinemment que la moindre contradiction serait considérée comme une insubordination.

 

  • Je suis vraiment très, très, déçu Lieutenant Vincens. Etant la fille de notre Grand Général, pilier du régime et fervent bras droit de notre Chef Suprême, j’attendais mieux. (Le coin des lèvres de Dan frémit. Soit il se retenait de sourire, soit il bouillonnait.)  Vous recevrez donc une sanction à la hauteur de votre foutue connerie.

 

Gabrielle pinça les lèvres. Ses doigts se resserrèrent dans ses paumes, ses ongles creusant des cavités de frustration. Certes, elle avait faillis mais il était injuste qu’elle soit déclarée coupable à la place d’un capitaine qui les aura conduit au suicide.  D’autant plus qu’ils avaient été deux dans ce bâtiment, et ce n’était pas elle qui l’avait fait explosé. Cet élan d’égoïsme et de plaidoirie s’accrocha au bord de ses lèvres, la poussant à les ouvrir pour se défendre ; jouer le même jeu qu’Orlow et Bellingam : trouver un coupable pourvu que ce ne soit pas elle. Cependant, elle resta muette, baissant les yeux en signe de résignation.

 

  • Vincens, vous serez rétro…

 

Mais le colonel n’acheva pas son blâme, Turner bondissant aussitôt :

 

  • Permission de parler, mon colonel ?

 

Gabby le foudroya du regard. Alors quoi ? Allait-il en rajouter une couche et la planter là, de plus belle ? Elle s’était retenue de l’entrainer dans sa chute. Etait-ce là tout la considération qu’il avait pour elle alors qu’elle endossait toute la faute ?

 

  • Allez-y Sergent., autorisa Scott, ne cachant pas sa surprise.

 

Dan le remercia d’un hochement de tête et enchaina dans la foulée :

 

  • Mon colonel, le Lieutenant Vincens ne peut être retenue comme unique responsable de cet échec. Si je puis me permettre et avec tout le respect que je dois au capitaine, celui-ci ne nous aura strictement rien dit sur la mission que nous devions effectuer. De plus ! (Dan haussa légèrement d’un ton, s’attendant à ce que le colonel l’interrompe) Nous avions reçu l’ordre confus de débusquer des terroristes et le lieutenant a parfaitement suivis les directives, bien qu’elles furent peu explicites. Malheureusement, nous sommes tombés dans une embuscade. Comme vous l’aurez fais remarquer, mon colonel, de simples civiles pas plus armés que des insectes n’auraient pas su monter un tel coup. C’est pourquoi – monsieur ! – (il appuya de plus belle son ton, encore une fois en devançant son supérieur) nous soupçonnons, le Lieutenant Vincens et moi-même, un piège monté de l’intérieur.

 

Gabby fut soufflée d’un tel discours à son avantage. Il y eut un silence gêné, le colonel ne payant pas plus de mine que la jeune femme.

 

  • Ce sont de graves accusations que vous portez là, Sergent., finit par avouer Scott.

  • J’en suis conscient, mon colonel. Et je vous assure que je n’avancerai pas de pareils soupçons si je n’en étais pas certain., répondit Turner, Entre autre, nous sommes trois fautifs dans cette histoire. Si vous souhaitez sanctionner le lieutenant en la privant de quelques galons, je vous prierai d’en faire de même pour moi mais aussi pour le capitaine.

 

Gabby admira la voix timbrée de Dan. Bien placée, neutre. Mais le sens de sa dernière réplique restait limpide. Ce n’était pas à Vincens de tout assumer. Tous deux pouvaient être sanctionnés mais il devait en être de même pour Orlow et, cela, Bellingam ne pourrait jamais se le permettre. N’étant plus que trois au sein de l’unité, il n’y aurait plus personne pour diriger l’équipe comme il se doit. Les soldats d’élite, considérés comme trop vieux, étaient devenus instructeurs et ne pouvaient plus revenir sur le terrain. En outre, Bellingam apposerait une sanction mais pas une perte de galons. S’il faisait preuve d’un favoritisme déplacé pour Orlow au détriment du Sergent et de Gabrielle, ces derniers seraient en droit de faire appel. Il leur serait plus que facile d’obtenir gain de cause, l’honneur et l’intégrité primant sur la fierté personnelle. Songeant à ces valeurs, Gabby rencontra un tic, sa paupière gauche sursautant subtilement. Le massacre des Résistants dans le bâtiment se déchaina dans son esprit, en écho. Une réponse courroucée. Elle cilla, chassant ces pensées.

 

  • Je prends… en compte votre avis, Sergent Turner., abdiqua Bellingam.

 

Il se racla la gorge, toussota, son front poisseux de sueur. Il passa des doigts nerveux sur sa moustache avant de les congédier :

 

  • Le lieutenant-chef, devant la porte, sera en charge de superviser votre sanction. (Scott lorgna sur la jambe de Gabrielle, esquissant un sourire narquois) Je souhaite que vous teniez jusqu’au bout au risque d’avoir à subir plus lourd encore. Une dure semaine vous attend. 

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