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Gabrielle

          Gabrielle éteignit le contact de sa moto noire aux reflets ambrés. Elle resta assise un moment, levant la tête vers l’immense Base-Mère se dressant devant elle. Si elle s’écoutait, elle redémarrerai sa bécane et ferait demi-tour aussitôt, dans l’espoir de rester terrer sagement dans sa caserne. Mais l’énorme bâtisse à l’image de l’ancien Pentagone américain lui rappelait ses devoirs de soldat. Gabby retint un soupire, rangeant ses clés dans la poche de son uniforme. Elle s’approcha de l’entrée lourdement gardée par une unité de patrouilles, aux vestons d’un bleu sombre et non kaki comme le sien. La garde de la Base-Mère n’était confiée qu’aux soldats d’élites, ayant atteint les plus hauts commandements mais aux principes moraux estimées incompétentes pour en assurer les responsabilités. Ces unités, Gabrielle ne les portait pas dans son cÅ“ur, les jugeant bien trop hautaines. Leur prestige leur avait fait prendre une trop grande ampleur dans leur ego. Porter l’uniforme kaki était vu d’un mauvais Å“il dans cette zone, qu’importe les blasons ou les épaulettes que les soldats pouvaient arborer. La jeune femme s’arrêta à la hauteur des deux soldats devant l’immense bâtisse. Ils la dévisagèrent un instant, sans un mot.

 

  • Lieutenant Gabrielle Vincens., s’annonça-t-elle en leur tendant sa carte certifiant son identité.

 

Le soldat de droite tiqua à son nom avant de vérifier l’authenticité de sa carte de visite et d’identité. Il lorgna sur elle tandis que son collègue de gauche laissa un peu trop son regard s’attarder sur elle d’une manière qui déplu à la nouvelle venue. Gabby le lui fit vertement comprendre d’un coup d’œil glacial qui lui fit aussitôt baisser le menton.

 

  • Vous pouvez entrer, Lieutenant Vincens.

  • Je vous remercie., se contenta-t-elle de répondre en s’engouffrant dans le vestibule.

 

Elle se déplaça dans le dédale des étages et des couloirs avec une aisance particulière, connaissant les lieux assez biens pour y vagabonder les yeux fermés. Certains des secrétaires et officiers la saluèrent d’un signe de tête à son passage qu’elle rendait avec mesure. Elle finit par s’arrêter devant une porte vitrée, laissant voir un premier bureau assez petit où se tenait assise une secrétaire de l’armée, portant le tailleur officiel. D’un âge déjà avancé, elle avait été reléguée dans un des postes de secrétariat, désormais certainement inapte à assurer les fonctions de soldat. Gabrielle l’avait connu dès son plus jeune âge comme une femme sévère, contraste paradoxale avec son regard doux. Mailine Brown sourit à Gabby lorsqu’elle l’aperçut derrière la porte. Elle se leva en lissant sa jupe et lui ouvrit avec chaleur.

 

  • Lieutenant Vincens, nous vous attendions !, salua-t-elle avec un accent britannique prononcé.

 

Gabrielle lui offrit un sourire contrit avant d’entrer sous son invitation.

 

  • Vous pouvez directement passer dans son bureau., l’informa Mailine.

 

La secrétaire gratifia Mailine d’un air compatissant frôlant la pitié tandis que Gabrielle frappa à la porte du bureau où résidait le Général. Une voix rauque lui ordonna d’entrer. La jeune femme inspira profondément, tentant vainement de contrôler le tremblement de ses mains tandis qu’elle tournait le poignet de la porte. La chaleur étouffante de la pièce l’agressa ainsi que la lumière crue des néons. Elle cilla un moment, s’habituant à la vive clarté avant de s’aventurer dans la pièce en refermant très doucement la porte derrière elle. Le Général lui tournait le dos, affairé à remettre de l’ordre dans les papiers encombrant son énorme bureau en bois d’acajou. Il ne lui accorda pas un seul regard durant plusieurs minutes. Gabrielle en profita pour remettre discrètement de l’ordre dans ses boucles noires, les tirant de plus belle en un chignon capricieux et mettant ses quelques mèches rebelles derrières ses oreilles. Elle vérifia la netteté de son uniforme rapidement avant de se mettre au garde-à-vous. Il se tourna finalement vers elle :

 

  • Bonjour, lieutenant.

  • Mon général., répondit machinalement Gabby.

 

Il suffit d’un seul mouvement du menton de l’officier pour que la jeune femme délaisse sa stricte posture et se contente de lier ses mains derrière le dos.

 

  • Vincens, lorsque je vous fais appeler dans mon bureau c’est toujours pour les mêmes raisons. Je me sens las de vous rappeler à l’ordre pour les mêmes fautes., la sermonna-t-il, Vos états de services sont exemplaires, mais votre comportement n’en est pas le reflet pour autant.

 

Gabrielle resta de marbre, mais elle sentit la moiteur de ses mains à mesure que le Général la réprimandait.

 

  •  Le caporal Lautner m’a souvent fait part de votre attitude désabusée durant les exécutions. (Ses yeux saphir, identiques à ceux de Gabrielle, la toisèrent avec sévérité) Vous êtes un soldat remarquable, un exemple pour les hommes de votre unité. Il est difficile pour une femme de se faire une place en aussi peu de temps. Il vous faut continuer dans cette voie et je ne tolérerai pas que vous laissiez un remord stupide transparaitre assez pour influencer les soldats. (Il sortit un rapport d’un tiroir qu’il feuilleta) J’ai cru entendre aussi, de la part de vos supérieurs, que vous refusiez souvent les missions sur le terrain. Qu’avez-vous à répondre à cela ?

 

Gabby releva le menton, s’étant attendue à une telle remontrance.

 

  • Monsieur, en évaluant les missions qui m’auront été assignées, j’ai estimé qu’il s’agissait de missions suicides qui aurait conduit à la décimation de mon unité.

  • Vous n’êtes pas là pour penser !, cria le général, Mais pour faire ce que l’on vous ordonne. Vos supérieurs réfléchissent à votre place et vous ! vous exécutez.

 

La jeune femme accueillis la remarque avec colère mais son visage resta muré dans un masque impassible.

 

  • La Résistance continue de grossir ses rangs et de concevoir des armes presque aussi performantes que les nôtres et vous croyez que vous pouvez vous permettre de penser ?, continua le Général.

  • Non, monsieur.

  • Dès demain, je vous veux sur le terrain avec l’unité bionique de Braham.

 

Cette fois, Gabby esquissa un léger haussement de sourcil :

 

  • Nous nous voyons confiés généralement des missions de patrouille. Nous serions plus discrets sans Bioniques.

  • Vous réfléchissez encore et remettez en question mes ordres !, tonna l’officier.

 

Ce dernier laissa tomber le rapport sur son bureau.

 

  • Ce ne sera pas une patrouille que vous aurez en charge., finit-il par indiquer, Vous devrez débusquer des Résistants dans la zone nord de la ville. Et je veux impérativement que ça soit vous qui dirigiez les opérations.

  • Je ne suis pas à la hauteur, monsieur. Un officier plus gradé devrait prendre en charge la direction de l’unité.

  • Je tiens à ce que vous fassiez vos preuves. Je refuse que vous portiez encore cet uniforme misérable.

  • C’est du favoritisme !, s’insurgea finalement Gabrielle d’un ton froid.

 

Elle avait finis par briser son calme, ahuris d’une telle décision de son supérieur. Son flemme n’était plus, elle bouillonnait littéralement de l’intérieur bien qu’elle ne se départit pas de sa posture respectueuse.  Elle ne se serait jamais permit une telle remarque sur ce ton si ce n’était pas le général qui se tenait devant elle.

 

  • Lieutenant Vincens !, rugit l’officier les joues rouges, Vous êtes parfaite pour une telle mission et vous vous y tiendrez !

  • Monsieur …

  • Comptez-vous encore contester mes ordres ? Il est impératif que la Résistance soit éliminée le plus drastiquement possible avant que ces imbéciles ne conduisent la République dans une véritable guerre civile.

 

Gabby marmonna une réponse qui lui valut un poing frappé avec force sur le bureau.

 

  • Monsieur, reprit Gabrielle, Je ne conteste pas vos ordres. Je connais mes capacités ainsi que celles d’autres officiers plus haut gradés qui feront merveille sur le terrain. Je n’ai connu que les patrouilles ; pas les unités de combat rapproché.

  • Vous faites partis des forces spéciales républicaines. Vous avez été formée pour ça. Il est temps de mettre en application toutes vos connaissances appris durant votre formation. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que vous avez finis major de votre promotion. Ce ne serait que gâchis de vous laissez pourrir dans cette caserne de seconde zone.

 

Ce qu’il ne comprenait pas, c’est que cette base, la jeune femme l’avait choisis en demandant une mutation pour la simple et bonne raison qu’elle l’éloignerait de la Base-Mère tout en lui évitant des ordres de missions directement en confrontation avec la Résistance.

 

  • Demain, vous partez avec l’unité de Braham dénicher les membres de la Résistance. Un de ses groupes a fuit vers le  Nord, et il n’est pas question qu’il rejoigne un autre de leur campement secret.

 

Gabrielle inspira profondément, en silence. Elle claqua des talons, résolue :

 

  • Bien, mon général.

  • Rompez, lieutenant.

 

Elle tournait déjà les talons, lorsque le général l’arrêta, d’un ton plus doux :

 

  • Gabrielle, je connais tes capacités ; je sais ce que tu es. J’ai fais en sorte que tu ais l’éducation nécessaire pour te voir devenir la femme que tu es aujourd’hui. Tu es une tueuse née. Tu es faites pour servir la République et un jour, je l’espère, prendre ma place en tant que Général de la Nation afin de seconder notre Chef Suprême.

 

Le soldat tourna lentement le regard vers l’officier derrière son bureau d’acajou, aux décorations gourmandes et méprisables. Elle le jaugea un moment, les lèvres serrées. Une mèche rebelle finit par lui effleurer la pommette, métaphore de son propre ressentiment. Ses iris d’un bleu pur ne trahissaient aucune émotion. Elle acquiesça sombrement :

 

  •  A bientôt, papa.

 

Et la porte se referma derrière elle.

 

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