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Gabrielle

       Gabrielle resta accroupie un moment, observant le cadavre d’un soldat de son unité, Ryan, la tête fracassée près d’un renfoncement de briques. Le soldat Grow marmonnait, culpabilisant de s’être éloigné de son coéquipier en lui ordonnant de vérifier la raison du bruit suspect qui les avait tous surpris.

 

  • La ferme !, finit par lui ordonner son lieutenant, fatiguée d’écouter ses jérémiades.

 

Gabby sentait la colère battre à sa tempe. Leur mission était de débusquer le groupe de résistants ; elle n’aurait jamais songé que ce serait eux qui s’y amuseraient. Grow frappa de rage dans une brique couverte de sang. Il gronda de plus belle en sautillant de douleur. Sa supérieure le toisa avec sévérité avant de se tourner de nouveau vers le cadavre. Lentement, elle lui ferma les paupières, cachant à sa vue le regard vitreux de Ryan. Une lumière bleue, vive, l’éblouit, enserrant d’un halo morbide le corps sanglant. Un grondement sinistre, presque effrayant, l’accompagna ainsi qu’un grincement mécanique. Le Bionique de John Braham surplombait la scène macabre. C’était un engin immaculé, l’aigle dorée lui barrant tout le plastron. Il faisait bien quatre mètres de haut, le cockpit tout aussi volumineux où John se tenait assit, relié par un circuit conducteur à la source de données. Bipède, le Bionique était à l’image de l’Homme voire plutôt d’un militaire, un énorme fusil lui servant de bras et le second, pourvu de dix doigts, avait d’incrusté un poignard sur le coté supérieur du poignet dont la lame atteignait la taille d’une épée.

 

  • On a quadrillé toute la zone., indiqua John, la voix amplifiée, Aucun suspect n’a été arrêté. Les misérables ont tous respecté le couvre-feu.

  • Sauf un., trancha Gabrielle.

 

Elle remarqua enfin l’absence du couteau habituel, glissé sous le veston des soldats. Veston qui manquait aussi.

 

  • Les Résistants ne se déplacent que rarement seuls., fit remarquer Braham, Et ce ne sont pas leurs méthodes. Ont-ils décidé d’employer des mesures barbares maintenant ? Prendre par surprise comme des lâches ?

 

Gabrielle ne répondit pas, fixant la brique sur laquelle avait frappé Grow quelques instants plus tôt. Une arme peu adéquate pour des Résistants voulant faire s’effondrer la République. Elle finit par se tourner vers le renfoncement. Elle l’étudia un moment avant de s’y glisser, non sans quelques difficultés. La personne qui s’y était trouvée devait, sans aucun doute, être plus petite et bien plus menue qu’elle pour s’y être faufilée sans bruit. Un homme n’aurait jamais tenu dans cette cachette de bonne fortune quand bien même aurait-il mit toute sa bonne volonté.

 

  • Ce n’était pas un membre de la Résistance, conclut-elle en sortant du renfoncement, Une femme ou un enfant. (Elle recomposa les morceaux du puzzle en silence avant de reprendre plus durement : ) Quelqu’un qui a eu peur.

  • Des femmes et des gosses sont Résistants., contredit John.

  • Qui plus est, ce type a prit les armes de Ryan., rajouta Grow enfin lucide et calmé.

  • Ce n’est pas faux., admit le lieutenant Vincens, Mais je ne vois pas en quoi il aurait une quelconque utilité de s’emparer de la veste.

  • Une prise de guerre. Faire le beau devant ses copains., grinça John.

 

Gabrielle ignora la remarque acerbe, toujours pas convaincue. Au vu de la blessure fatale de Ryan, le coupable avait du faire appel à toute sa force, sous le coup de l’adrénaline. L’instinct de survie lorsque l’on sait qu’on peut mourir si on se fait attraper après le couvre-feu. Une perte de sang-froid, un compromis pour rester en vie.

 

  • Braham, lança-t-elle finalement, Part en éclaireur avec Bobby. On continue.

 

Grow manqua un souffle, perplexe.

 

  • On ne peut pas laisser Ryan ici, mon lieutenant !

  • Lorsque nous aurons terminé ce que nous avons à faire, nous reviendrons le chercher., le rassura Gabrielle, En attendant, on ne peut pas se permettre de perdre deux hommes par acte de bonne conscience.

  • Il se fera bouffer par des charognards !, hurla Grow, hors de lui.

 

Sa supérieure ne cilla pas au ton virulent qu’il employa. Elle se contenta de le fixer, sans émotions. Silencieusement, elle dé zippa sa veste, qu’elle ôta ensuite pour la poser en guise de linceul sur Ryan. Le froid cinglant de la nuit déjà avancée lui donna la chaire de poule, lui brûlant la peau. Mais elle ne s’en plaignit pas. Ce simple geste parut apaiser Grow, lui indiquant qui plus est que Vincens se souciait du sort du malheureux soldat, mort en service. Toutefois, il devait se rappeler que leur devoir devait passer avant leur chagrin. La jeune femme fut bientôt imitée par le reste de l’unité, dans un mouvement de respect mutique. Le corps fut recouvert des vestes kakis et les deux Bioniques s’attelèrent à le cercler de caisses miteuses et le recouvrir de quelques briques, dans l’espoir que cela suffirait à décourager les pillards et les charognards. Une fois la tombe improvisée et temporaire dressée, l’unité de Gabrielle reprit sa marche, celle de Braham ouvrant la voie.

 

        Gabrielle frissonnait sous la brise, ses doigts se resserrant de manière convulsive sur son fusil, message propre à son corps lui sommant de se couvrir au plus vite. Mais, entrainée comme elle l’avait été, elle pouvait supporter n’importe quelle température sans broncher, quand bien se serait-elle retrouvée nue en pleine Alaska. Les Bioniques n’étaient plus que visibles par leur halo lumineux, deux quartiers plus loin et à leur rugissement mécanique sinistre. N’importe quel civil pourrait être terrifié rien qu’aux pas lourds et menaçants fracassants les pavés des rues. Ces titans, anciens héros de guerre, n’étaient plus que l’un des symboles de la République : froid, dur, inébranlable … inhumain. Gabby chassa cette pensée antirépublicaine d’un simple battement de cils. Bien que cela soit des Mécas comme les appelaient la Résistance, il y avait bien un pilote humain qui contrôlait tout l’attirail. Et plus important pour le lieutenant encore, l’un de ces deux pilotes actuellement dans son unité restait son ami d’enfance. L’ayant vu grandir à ses cotés et traverser toutes les épreuves des écoles militaires, cela ne faisait que renforcer son humanité à ses yeux quand bien même avait-il un assortiment de fils électriques mis en place dans son cervelet. Gabrielle jeta un rapide coup d’œil aux soldats en formation autour d’elle. Grow supervisait le coté latéral droit de l’unité tandis que le soldat O’lagam, écossais, celui de gauche. Tous restaient à quelques pas derrière leur supérieure, aux aguets, prêts à réagir aux moindres de ses ordres. Vincens stoppa net, alertée par un craquement de caisse suspect. Les autres réagirent de même, leurs regards convergents dans la même direction. Les fusils se levèrent silencieusement, tandis que Gabrielle leur ordonna de se mettre à couvert d’un mouvement répété du bras. Elle choisit une vieille voiture abandonnée, derrière laquelle elle s’accroupie tout en décliquant le cran de sécurité de son arme. Le bruit se répéta de nouveau, plus proche encore. Des murmures fusèrent, agacés par le boucan de l’un d’eux. Une tête aux cheveux ébouriffés apparu derrière le pan d’un mur, vérifiant si la voie était désormais libre.

 

  • Les Mécas ne sont plus là avec leurs toutous., annonça-t-il à d’autres, hors champs., Go go !

  • Débutant., songea malgré elle Gabrielle, un rictus au coin des lèvres.  

 

Au mouvement furtif à sa gauche, Gabby réagit très vite, ordonnant à un des soldats de ne plus faire un geste en levant un doigt dans sa direction. Le message clair, son subordonné se recroquevilla de plus belle, dans l’ombre. Le groupe était une dizaine, un peu plus nombreux qu’eux. Pour la plupart, des adolescents. Gabrielle jugea aussitôt leur appartenance à la Résistance au vu de leurs fusils de chasse, maladroitement tenu et à des révolvers à leurs ceintures.

 

  • C’est eux., en conclut Vincens.

 

D’un mouvement fluide et discret, elle sortit de la pénombre, posant le canon de son fusil sur le capot de la voiture, son Å“il saphir rivé dans le viseur droit entre les deux yeux du premier sorti.  

 

  • Résistants !, les héla-t-elle d’une voix forte, Vous êtes encerclés, il est inutile de chercher à fuir.

 

Le groupe de renégats sursautèrent à sa voix, la cherchant du regard. Quand ils l’aperçurent, ils la mirent en joue à leur tour, prient d’une détermination propre à la survie. Gabrielle ne daigna pas se mettre à couvert, nullement effrayée par les dizaines d’armes pointées sur elle.

 

  • Vous êtes accusés de haute trahison envers la Nation, continua-t-elle d’un ton autoritaire et sans appel, Etant membres de la cellule terroriste que vous nommez la « Résistance Â», vous serez jugés et punis par la loi. Soit vous coopérez, soit vous êtes morts.

 

L’adolescent semblant être à la tête du petit groupe ne se laissa pas impressionner, avançant d’un pas menaçant vers Gabrielle.

 

  • Mon cul !, cria-t-il à son intention, Nous n’aurons aucune justice, nous serons aussitôt foutus sur votre peloton à la con ! Vous voulez que l’on coopère ? Dans tous les cas, ça revient au même ! Le régime n’a pitié de personne ! Autant mourir comme des hommes libres !

 

Le cliquetis parvenant aux oreilles de Gabby lui fit comprendre qu’il venait d’abaisser le chien de son révolver. La réponse de Vincens fut sans appel. Sa balle traversa net le crâne du garçon, entre les deux yeux. Sa seconde mise-en-garde était faite à l’instant où le corps coupé dans son élan s’effondra aux pieds de ses camarades. L’agitation gagna les jeunes Résistants, hésitant entre connaître le même sort que leur chef ou fuir. Mais Gabrielle coupa court à leur hésitation, sur le même ton :

 

  • Si vous fuyez par le coté ouest : vous êtes morts.

 

Deux soldats se mirent à découvert, fusils à l’épaule du coté ouest.

 

  • Si vous fuyez par le coté est : vous êtes morts.

 

Deux autres firent de même du coté est.

 

  • Par le sud : vous êtes morts.

 

Le reste de l’unité, dont Grow, débloquèrent à leur tour le cran de sécurité de leurs armes, rajoutant une pression supplémentaire. Gabby suivit les regards de la Résistance vers la ruelle jouxtant vers le Nord. Elle n’eut besoin de les en dissuader aux rugissements des Bioniques en approche. Braham était loin d’être un idiot. Au vu de la communication que Vincens avait prit soin de couper pour rester discrets, il avait rapidement comprit qu’ils avaient débusqués le groupe recherché. Il la connaissait par cÅ“ur elle et ses tactiques. Une jeune fille, d’une quinzaine d’années, raffermit sa prise sur son fusil de chasse. D’un mouvement sec, elle le chargea, bouillonnant de haine et de désespoir. Les autres l’imitèrent, résolus. Gabrielle aurait certainement fermé les yeux de déception si elle n’avait pas été dans cette position, à découvert. Ils avaient choisis ; il n’y avait plus de retour en arrière possible pour eux.

 

  • Pour la Résist… !, commença à hurler la gamine.

 

Mais elle ne termina jamais son cri de guerre, Gabby annonçant la mise à mort en fichant un tir en pleine poitrine. L’impact fit gicler le sang sur ses compagnons qui hurlèrent, non pas de peur mais de hargne. Sans se soucier du second corps, ils l’enjambèrent en tirant à l’aveuglette. Les balles ricochaient sur la carcasse des voitures, effleurant à peine les soldats qui tirèrent la première vague. Comprenant qu’il était trop dangereux pour les survivants de rester en pleine ligne de mir, ils s’essayèrent à rebrousser chemin, derrière le pan du mur d’où ils venaient. Mais Gabrielle ne leur laissa aucune seconde chance, après leur refus de coopérer. En cinq tirs précis, nets, et vifs elle les arrêta dans leur course par la mort. Sauf un, plus rapide que les autres, qu’elle ne réussit à atteindre qu’à la jambe. Ils l’entendirent s’effondrer, poussant un cri de douleur. L’unité sortit de leurs points de tir, toujours l’arme à l’épaule, s’approchant des corps à terre, vérifiant leur état cadavérique et éloignant soigneusement les armes des doigts immobiles. Grow s’écarta du groupe, droit vers le dernier qui tentait vainement de s’échapper en rampant, laissant un sillon sanglant derrière lui. Sa supérieure aurait pu l’arrêter, mais elle n’en fit rien, se contentant de rengainer son arme en rejoignant les siens. Les Bioniques les encadrèrent bientôt, témoins en retard du massacre. Grow mit en joue le garçon blessé et implorant la pitié. A sa merci, Grow appuya sur la blessure du Résistant de son talon, le bloquant dans sa fuite perdue d’avance.

 

  • Ca, c’est pour Ryan, chien de résistant !, fulmina le bourreau.

 

Gabby ne put s’empêcher de détourner la tête, mesure vaine pour ne pas assister à cette vengeance. Elle ne cilla toutefois pas au coup de feu qui mit un terme aux râles de souffrance de l’adolescent. Elle réagit malgré tout aux trois coups de feu qui s’ensuivirent.

 

  • C’était mon ami ! C’était mon ami !, hurlait Grow en s’acharnant sur le crâne qui n’était plus qu’un amas ensanglanté de chaire et d’os.

 

Le lieutenant Vincens posa une main sur l’épaule de son subordonné, l’arrêtant dans sa fureur et son chagrin.

 

  • Economise les munitions.

 

Ce fut tout ce qu’elle trouva à dire. Elle ne pouvait se permettre de faiblir en paroles de réconfort ou autre grand discours moralisateur. Rien ne pourrait apaiser la détresse de Grow, si ce n’est le temps.  

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